La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/04/2021 | FRANCE | N°21DA00139

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 22 avril 2021, 21DA00139


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Lille de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 juillet 2020 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer une carte de résident en qualité de réfugiée, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Elle a

également demandé qu'il soit enjoint, sous astreinte, à l'autorité préfectorale ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Lille de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 juillet 2020 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer une carte de résident en qualité de réfugiée, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Elle a également demandé qu'il soit enjoint, sous astreinte, à l'autorité préfectorale de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 2005669 du 29 septembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille l'a admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2021 et un mémoire enregistré le 23 février 2021, Mme A... D..., représentée par Me C... B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 juillet 2020 du préfet du Nord ;

3°) d'enjoindre audit préfet de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., née le 5 mai 1989, de nationalité géorgienne, est entrée en France le 24 janvier 2019, selon ses déclarations. Elle y a demandé l'asile. Cette demande a été rejetée par décision de l'Office français des réfugiés et apatrides du 31 janvier 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 3 juin 2020. Le préfet du Nord lui refusait alors par arrêté du 27 juillet 2020, la délivrance d'un titre de séjour en tant que réfugiée et assortissait cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, d'une décision fixant le pays de destination et d'une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Mme D... relève appel du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant à ce que cet arrêté soit annulé et à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au préfet du Nord de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur la décision de refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. ". Il résulte du IV de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018 précitée que les dispositions de l'article L. 311-6 entrent en vigueur " à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, et au plus tard le 1er mars 2019 " et s'appliquent aux demandes qui sont postérieures à cette date. Aucun décret en Conseil d'Etat n'a fixé de date d'entrée en vigueur antérieure au 1er mars 2019. Aux termes de l'article D. 311-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application de l'article L. 311-6, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné au 11° de l'article L. 313-11, ce délai est porté à trois mois. ".

3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'attestation de demande d'asile en procédure normale établie par le préfet du Nord mentionne comme date de premier enregistrement en guichet unique de la demande d'asile, le 20 février 2019. Par suite, les dispositions de l'article L. 311-6 n'étaient pas entrées en vigueur à cette date et ne s'appliquaient pas à la situation de l'intéressée. Le préfet ne pouvait donc pas lui imposer pour solliciter un titre sur un autre fondement que l'asile un délai de deux mois, ou de trois mois en cas de demande fondée sur l'état de santé, à compter de la date de remise d'une notice d'information en ce sens, comme il l'a fait le 14 juin 2019, en lui remettant un document en langue géorgienne, délivré selon ces termes en application de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet du Nord a commis une erreur de droit, ainsi que le soutient l'appelante, en faisant application des dispositions de l'article L. 311-6. Dès lors, la demande de rendez-vous pour déposer une demande de titre de séjour pour raison de santé de Mme D..., adressée le 27 juillet 2020, soit avant la notification, le 30 juillet 2020 de la décision de refus de titre du 27 juillet 2020 ne pouvait se voir opposer les délais prévus par les articles L. 311-6 et D. 311-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'était pas tardive.

4. Il est constant que le préfet n'a pas examiné cette demande. Mme D... est donc fondée à soutenir que la décision du 27 juillet 2020 est entachée de défaut d'examen. Par suite, cette décision de refus de titre doit être annulée. Le jugement du tribunal administratif de Lille du 29 septembre 2020 est, en conséquence, annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions d'annulation du refus de titre.

Sur les autres décisions :

5. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable : "L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : /.../ i la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. " Dans la mesure où un refus de titre de séjour n'est pas le fondement d'une obligation de quitter le territoire français, l'éventuelle annulation du refus de titre de séjour ne conduit pas, par elle-même, à l'annulation par voie de conséquence de l'obligation de quitter le territoire, qui aurait pu être légalement prise en l'absence du refus de titre de séjour et n'est pas intervenue en raison de ce refus. Toutefois, dans le cas où serait contesté à l'occasion d'un recours dirigé contre une telle obligation un refus de titre de séjour pris concomitamment, si le juge administratif annule le refus de titre de séjour, il lui appartient, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier, eu égard au motif qu'il retient, si l'illégalité du refus de titre de séjour justifie l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français. Tel est le cas notamment lorsque le motif de l'annulation implique le droit de l'intéressé à séjourner en France.

6. En l'espèce, il ressort des termes de l'arrêté en litige que l'obligation de quitter le territoire français a pour fondement les dispositions précitées du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non le refus de titre. Par ailleurs, aucun moyen à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire n'est tiré de l'illégalité du refus de titre et au surplus l'annulation de cette dernière décision n'implique pas, compte tenu des motifs retenus, le droit de l'intéressée de séjourner en France. Par suite, l'annulation du refus de titre n'emporte pas par voie de conséquence l'annulation de l'obligation de quitter le territoire, ni celles des autres décisions prises sur le fondement de cette mesure d'éloignement. Il appartient en conséquence à la cour saisie dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les moyens soulevés par Mme D... sur ces autres décisions.

7. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...)/ 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ;(...) " et aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. ".

8. Lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.

9. Il ressort en l'espèce, des pièces du dossier que Mme D... a fait parvenir, sans que cela soit sérieusement contesté, le 27 juillet 2020, soit le jour même de la décision portant obligation de quitter le territoire français contestée, des documents médicaux concernant son état de santé. Si deux certificats médicaux d'un médecin généraliste du 18 juillet 2019 et du 29 juin 2020, rédigés en des termes exactement identiques, attestent de la nécessité de soins constants et d'un suivi médical régulier dont l'interruption peut être préjudiciable à sar santé et de l'impossibilité accéder à un même niveau de soins dans son pays, ces éléments ne permettent d'établir ni que l'absence de traitement pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni que l'intéressée ne pourrait effectivement bénéficier effectivement d'un traitement en Géorgie. Les autres certificats médicaux s'ils attestent également de la nécessité de soins ne démontrent pas non plus que l'intéressée serait susceptible d'entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Par suite, le préfet n'était pas tenu de recueillir préalablement à sa décision, l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Le moyen tiré de ce vice de procédure doit ainsi être écarté.

10. Si les certificats médicaux produits par Mme D... attestent qu'elle suit des soins médico-psychologique, aucun d'entre eux n'établit, ainsi qu'il a été dit, que son état de santé nécessite des soins dont le défaut aurait pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'elle ne pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Ainsi, s'ils indiquent de manière peu précise des tentatives d'autolyse dans le passé, deux certificats de psychiatres du 15 juillet 2019 du 4 juin 2020 attestent d'une amélioration sur ce plan. Le dernier certificat conclut que l'intéressée a notamment des troubles du sommeil et des céphalées invalidantes " qui représentent un handicap et un frein à l'accès à l'emploi et à la formation ", mais n'établit pas non plus les conséquences d'une exceptionnelle gravité de la pathologie. De même, si un certificat évoque un stress post traumatique en se fondant sur les seules déclarations de l'intéressée, son caractère très peu circonstancié n'établit pas qu'un traitement approprié ne pourrait être effectivement envisagé compte tenu du lien entre sa pathologie et les événements qu'elle dit y avoir vécus. Par ailleurs, seuls les certificats du médecin généraliste déjà cités évoquent de manière très peu argumentée, un niveau de soin différent en Géorgie sans pour autant justifier l'absence d'accès effectif à un traitement approprié. Dans sa requête d'appel, Mme D... se fonde sur un rapport de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés, celui-ci met en exergue le manque de psychiatres dont le taux est de 3,92 pour 100 000 habitants contre 8,59 en moyenne européenne et des soins psychothérapeutiques très limités. Ces seuls éléments généraux ne permettent pas de démontrer l'absence de traitement approprié en Géorgie pour les pathologies dont souffrent l'intéressée. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne pourra qu'être écarté. Par suite, les conclusions d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français doivent être rejetées et aucun moyen n'est soulevé en cause d'appel sur les autres décisions contenues dans l'arrêté du 27 juillet 2020.

11. Le présent arrêt implique seulement que le préfet réexamine la situation de Mme D.... Il convient de prescrire ce réexamen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

12. Mme D... bénéficie de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que le conseil de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B..., la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 29 septembre 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions d'annulation de la décision de refus de titre.

Article 2 : La décision du préfet du Nord du 27 juillet 2020 refusant un titre de séjour à Mme D... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me C... B..., la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des demandes de Mme D... tant devant le tribunal administratif que devant la cour est rejeté.

Article 6 : Le surplus des conclusions du préfet du Nord est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... B... pour Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.

N°21DA00139 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00139
Date de la décision : 22/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : BERTHE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-04-22;21da00139 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award