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09/06/2022 | FRANCE | N°21DA02144

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 09 juin 2022, 21DA02144


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 août 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 30 mars 2018 et a refusé le licenciement pour inaptitude de Mme A.... Cette société avait également demandé que soit annulée pour excès de pouvoir la décision du 1er février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle de Béthune Saint-Omer avait reti

ré sa décision du 4 octobre 2017 et avait refusé le licenciement pour inaptitude de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 août 2018 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 30 mars 2018 et a refusé le licenciement pour inaptitude de Mme A.... Cette société avait également demandé que soit annulée pour excès de pouvoir la décision du 1er février 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle de Béthune Saint-Omer avait retiré sa décision du 4 octobre 2017 et avait refusé le licenciement pour inaptitude de Mme A....

Par un jugement n° 1809327 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2021, la société ..., représentée par Me Eric Demey, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 24 août 2018 ;

3°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 1er février 2018.

Elle soutient que :

- le retrait de la décision du 4 octobre 2017 est illégal car cette décision n'était pas illégale ;

- la demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude n'a pas de lien avec le mandat ;

- l'inaptitude n'est pas en effet la conséquence directe de la dégradation de son état de santé ;

- elle n'a pas mis d'obstacle à l'exercice du mandat de l'intéressée ;

- le refus de licenciement n'était pas motivé ;

- l'inspectrice du travail s'est fondé sur des faits erronés.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 avril 2022, Mme B... A..., représentée par Me Alexandre Barège, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société ... de la somme de 5 000 euros, à lui verser au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucun moyen d'annulation n'est soulevé contre la décision ministérielle du 18 octobre 2018 ;

- les conclusions d'annulation de la décision du 1er février 2018 sont tardives donc irrecevables ;

- le retrait de la décision du 4 octobre 2017 était légal dès lors que cette autorisation était illégale ;

- le lien entre le mandat et le licenciement est établi par les agissements de harcèlement moral qu'elle a subis.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle reprend ses écritures de première instance.

Par ordonnance du 3 mai 2022, l'instruction a été reportée et fixée au 20 mai 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société ... a demandé l'autorisation de licencier pour inaptitude Mme B... A..., responsable administrative et de la comptabilité, qui exerçait le mandat de déléguée du personnel. L'inspectrice du travail territorialement compétente, après avoir autorisé ce licenciement le 4 octobre 2017, a retiré cette décision et a refusé le licenciement par décision du 1er février 2018. Le recours hiérarchique de la société ... a été rejeté par décision de la ministre du travail du 24 août 2018. La société ... relève appel du jugement du 5 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes d'annulation pour excès de pouvoir des décisions du 1er février 2018 et du 24 août 2018.

Sur la légalité du retrait de la décision du 4 octobre 2017 :

2. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".

3. La décision de retrait de la décision du 4 octobre 2017 est intervenue le 1er février 2018, soit dans le respect du délai de quatre mois prescrit par ces dispositions. Par ailleurs, dans sa décision du 4 octobre 2017, l'inspectrice du travail a considéré qu'il " ne peut ainsi être écarté tout lien avec le mandat représentatif du salarié ".

4. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

5. A la suite de deux visites réalisées le 7 et le 18 juillet 2018, le médecin du travail a déclaré Mme A... inapte à son poste de travail et a attesté que son maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Toutefois, il ressort également des pièces produites en première instance par l'intéressée que celle-ci a été placée en arrêt de travail du 16 octobre 2014 au 4 novembre 2014 pour " burn-out " par son médecin traitant, bien que celui-ci n'ait pas considéré que cet arrêt était en rapport avec une maladie professionnelle. Ce même médecin l'a arrêtée pour accident du travail survenu le 6 octobre 2015. Il a également attesté le 12 mai 2016 que l'intéressée " a présenté plusieurs épisodes anxio-dépressifs réactionnels à des problèmes de conflit au travail décrits par Mme A... comme du harcèlement moral depuis octobre 2014 ". Si, comme le fait valoir la société appelante, la caisse primaire d'assurance maladie n'a pas reconnu le caractère d'accident du travail de l'arrêt intervenu à compter du 6 octobre 2015, il résulte néanmoins de ces éléments que Mme A... a ressenti une souffrance au travail à compter d'octobre 2014. Elle soutient que la dégradation de son état de santé est en lien avec des demandes que lui aurait faites la direction en vue de dénigrer le délégué du personnel du premier collège. Ce délégué dans son courrier du 6 juillet 2015 puis dans son droit d'alerte du 23 octobre 2015 adressés au chef d'entreprise faisait lui-même état de la souffrance au travail de Mme A... et l'imputait à l'attitude du directeur d'usine à l'encontre de celle-ci, comme aux pressions exercées sur elle par le chef d'entreprise pour lui nuire en tant que délégué du personnel. Ces éléments démontrent que la souffrance au travail ressentie par Mme A... n'est pas dénuée de tout lien avec le mandat exercé par l'intéressée. Il ressort également des termes mêmes de la décision de l'inspectrice du travail du 1er février 2018 que celle-ci a constaté, lors de son contrôle effectué le 2 octobre 2015, la tension entre la direction et les délégués du personnel, l'absence de tenue régulière de réunion des délégués du personnel sur plusieurs mois en 2015 ou la difficulté d'accès de ces délégués au registre des délégués, placé sous clé. La société appelante n'apporte aucun élément venant à l'encontre de ces constats.

6. Pour démontrer, en sens inverse que le licenciement était sans lien avec le mandat, la société appelante fait valoir qu'elle n'a pas déposé de plainte contre les délégués du personnel, contrairement à ce qu'a indiqué l'inspectrice du travail. Toutefois, si la plainte produite par la société appelante est effectivement dirigée " contre X. ", elle vise nominativement dans ses développements Mme A... en mentionnant sa qualité de déléguée du personnel. En second lieu, la société appelante remet en cause la présentation de l'incident du 6 octobre 2015. Cet incident est à l'origine du dernier arrêt de travail de Mme A.... Le témoignage que produit la société appelante confirme toutefois que le chef d'entreprise a refusé de serrer la main de la salariée, comme l'indiquait cette dernière, même si, selon ce témoin, l'attitude du dirigeant n'était ni agressive, ni arrogante. Si la société nie tout lien entre ce refus et le mandat, le témoignage atteste néanmoins que le chef d'entreprise a indiqué " qu'il n'avait pas apprécié son comportement dénigrant envers le directeur d'usine ", accréditant le lien fait par Mme A... comme par l'autre délégué du personnel entre cet incident et la visite de l'inspecteur du travail, quatre jours auparavant. Par ailleurs, si la cour d'appel de Douai dans un arrêt du 30 juin 2017 a rejeté la demande d'enquête à la suite d'un droit d'alerte pour atteintes à la liberté, de pressions et d'intimidations du délégué du premier collège, d'autres salariés et de Mme A... en tant que délégué du personnel du deuxième collège, cette décision ne saurait suffire à démontrer que la demande de licenciement de Mme A... serait sans lien avec l'exercice de son mandat. Enfin, les comptes-rendus de réunions de délégués du personnel que produit la société appelante témoignent d'une tension entre la direction et notamment le délégué du personnel du premier collège et n'apportent pas d'éléments sur l'absence de lien entre le mandat de Mme A... et sa demande d'autorisation de licenciement. La circonstance que la demande de licenciement ait été faite le 29 juillet 2017 alors que Mme A... était en arrêt maladie de manière continue depuis le 14 novembre 2015 ne saurait à elle seule démontrer que le licenciement soit sans lien avec le mandat. Par suite, il n'est pas établi que la demande de licenciement de Mme A... soit dépourvue de tout lien avec le mandat exercé par cette dernière. Au vu de ce constat, l'inspectrice du travail était tenue de refuser le licenciement. Par suite, l'inspectrice du travail était fondée à retirer pour erreur de droit la décision du 4 octobre 2017 qui autorisait le licenciement.

Sur la légalité du refus d'autoriser le licenciement :

7. Pour le motif précédemment exposé tiré de ce que la demande de licenciement de Mme A... n'était pas dépourvue de tout lien avec le mandat exercé par cette dernière, l'inspectrice du travail était fondée à refuser l'autorisation de licencier cette salariée et la ministre du travail à rejeter le recours hiérarchique de la société ....

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes d'annulation des décisions du 1er février 2018 et du 24 août 2018 refusant le licenciement de Mme A.... Sa requête doit donc être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins

de non-recevoir opposées en défense. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société ... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société ... est rejetée.

Article 2 : La société ... versera la somme de 2 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ..., à Mme B... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience publique du 25 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2022.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin

La présidente de chambre,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

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N° 21DA02144

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02144
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : DEMEY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-09;21da02144 ?
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