La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/01/2023 | FRANCE | N°21DA02357

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 30 janvier 2023, 21DA02357


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Voies navigables de France a déféré Mme C... D... au tribunal administratif de Rouen comme prévenue d'une contravention de grande voirie et a demandé à ce tribunal, d'une part, de condamner Mme D... au paiement d'une amende de 150 euros, d'autre part, de lui enjoindre de libérer le domaine public fluvial dans un délai de quinze jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, de la condamner au paiement d'une somme de 250 euros au titre des frais d'établissement et de n

otification du procès-verbal et des frais de notification du jugement à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Voies navigables de France a déféré Mme C... D... au tribunal administratif de Rouen comme prévenue d'une contravention de grande voirie et a demandé à ce tribunal, d'une part, de condamner Mme D... au paiement d'une amende de 150 euros, d'autre part, de lui enjoindre de libérer le domaine public fluvial dans un délai de quinze jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, de la condamner au paiement d'une somme de 250 euros au titre des frais d'établissement et de notification du procès-verbal et des frais de notification du jugement à intervenir par voie d'huissier de justice.

Par un jugement n° 2002374 du 24 juin 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen, d'une part, a condamné Mme D... à payer une amende de 150 euros, d'autre part, lui a enjoint, pour autant qu'elle ne l'ait pas déjà fait, de procéder à l'enlèvement de ses constructions du domaine public fluvial dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, a autorisé l'établissement public Voies navigables de France, passé ce délai d'un mois, à procéder d'office à l'enlèvement de ces constructions aux frais et risques de Mme D....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 octobre 2021, et des mémoires, enregistrés le 10 mars 2022 et le 21 décembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme D..., représentée par Me Xavier de Lipski, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de l'établissement public Voies navigables de France ;

3°) de l'autoriser à disposer de l'utilisation du prolongement de sa propriété sur le bord de la Seine.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car elle n'a reçu aucun document du tribunal administratif de Rouen ;

- elle n'a jamais eu l'intention d'occuper le domaine public fluvial.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2022, l'établissement public Voies navigables de France, représenté par Me Véronique Vray, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme D... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, faute d'avoir été assortie, dans le délai de recours, de conclusions et de moyens ;

- la demande de délivrance d'une autorisation d'occupation du domaine public est au surplus irrecevable car elle excède les pouvoirs du juge des contraventions de grande voirie et constitue une conclusion nouvelle en appel ;

- subsidiairement, le jugement était régulier, la procédure lui ayant été adressée à l'adresse connue de l'administration et communiquée au tribunal ;

- il était tenu de poursuivre la contrevenante qui ne conteste pas l'exactitude matérielle des faits qui lui sont imputés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public

- et les observations de Me Xavier de Lipski représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 22 novembre 2019, notifié le 11 décembre suivant, un agent assermenté de l'établissement public Voies navigables de France a constaté que Mme A... née D... avait construit un appontement sur le domaine public fluvial au droit de sa propriété à Cléon en Seine-Maritime. Par un jugement du 24 juin 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a, à la demande de l'établissement public Voies navigables de France, condamné Mme D... à payer une amende de 150 euros, lui a enjoint de procéder à l'enlèvement de ses constructions du domaine public fluvial dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et autorisé l'établissement public Voies navigables de France, passé ce délai d'un mois, à procéder d'office à l'enlèvement de ces constructions aux frais et risques de Mme D.... Cette dernière relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité de l'appel :

2. Mme D... soutient dans sa requête qu'elle n'a reçu aucune information ni aucune lettre recommandée du tribunal administratif de Rouen. Elle doit être regardée comme ayant invoqué ainsi l'irrégularité de la procédure suivie devant ce tribunal et par suite celle du jugement. La fin de non-recevoir tirée de l'absence de moyens dans le délai de recours doit donc être écartée.

Sur la régularité du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. / Pour le domaine public défini à l'article L. 4314-1 du code des transports, l'autorité désignée à l'article L. 4313-3 du même code est substituée au représentant de l'Etat dans le département (...) / La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite. / Il est dressé acte de la notification ; cet acte doit être adressé au tribunal administratif et y être enregistré comme les requêtes introductives d'instance ". Aux termes de l'article L. 774-4 du même code : " Toute partie doit être avertie du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. / Cet avertissement est notifié dans la forme administrative. Il peut être donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 4313-3 du code des transports : " Dans le cas où des atteintes à l'intégrité et à la conservation du domaine défini par le chapitre IV du présent titre ont été constatées, le directeur général de Voies navigables de France saisit la juridiction territorialement compétente, en lieu et place du préfet, dans les conditions et suivant les procédures prévues par le chapitre IV du titre VII du livre VII du code de justice administrative. /Il peut déléguer sa signature aux directeurs des services territoriaux de l'établissement. Ces derniers peuvent subdéléguer leur signature aux agents de l'établissement chargés de fonctions d'encadrement ".

5. Il résulte de ces dispositions que si le tribunal administratif n'est pas tenu d'adresser la requête au contrevenant, le procès-verbal de contravention de grande voirie valant requête et sa notification constituant une mise en demeure de faire valoir sa défense dans le délai de quinze jours à compter de celle-ci, la juridiction doit néanmoins notifier l'avis d'audience au contrevenant par voie administrative ou par lettre recommandé avec accusé de réception.

6. Il résulte de l'instruction que l'avis d'audience a été notifié à Mme D... à son adresse à Cléon où le procès-verbal de contravention lui avait été régulièrement notifié. Toutefois, l'avis de réception de ce pli recommandé a été retourné au tribunal administratif de Rouen avec la mention " défaut d'accès ou adressage " et Mme D... n'a donc pas été avisée de l'envoi de la mise en instance de ce courrier par le dépôt d'un avis de passage.

7. Il appartenait dès lors au tribunal administratif, compte tenu du caractère répressif de la contravention de grande voirie et dans le respect du principe des droits de la défense, de procéder à la notification de l'avis d'audience à Mme D... par la voie administrative. Or il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle notification soit intervenue.

8. Dans ces conditions, Mme D... est fondée à soutenir qu'elle n'a pas été régulièrement convoquée à l'audience. Par suite, le jugement du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Rouen doit être annulé.

9. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'établissement public Voies navigables de France devant le tribunal administratif de Rouen.

Sur l'action publique :

10. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ". Aux termes de l'article L. 2132-9 du même code : " Les riverains, les mariniers et autres personnes sont tenus de faire enlever les pierres, terres, bois, pieux, débris de bateaux et autres empêchements qui, de leur fait ou du fait de personnes ou de choses à leur charge, se trouveraient sur le domaine public fluvial. Le contrevenant est passible d'une amende de 150 à 12 000 euros, de la confiscation de l'objet constituant l'obstacle et du remboursement des frais d'enlèvement d'office par l'autorité administrative compétente. " Enfin l'article L. 2132-10 de ce code dispose : " Nul ne peut procéder à tout dépôt ni se livrer à des dégradations sur le domaine public fluvial, les chemins de halage et francs-bords, fossés et ouvrages d'art, sur les arbres qui les bordent, ainsi que sur les matériaux destinés à leur entretien. "

11. Il résulte du procès-verbal de contravention dressé le 22 novembre 2019 par un agent assermenté de Voies navigables de France qu'un appontement en béton armé et parpaings, surmonté d'un plancher en bois sur lequel sont amarrés une passerelle et un ponton flottant, a été édifié sur la Seine au droit de la propriété de Mme D.... Celle-ci, en cause d'appel ne conteste pas les faits, qui sont également établis par des photographies produites par Voies navigables de France.

12. Si l'intéressée indique qu'elle n'a pas eu l'intention d'occuper illégalement le domaine public, il résulte de l'instruction que les constructions effectuées dans la Seine avaient un caractère durable et n'ont été précédées d'aucune démarche auprès du gestionnaire de ce domaine. Ces constructions édifiées sans autorisation sur le domaine public fluvial constituent un empêchement et une dégradation de ce domaine au sens des dispositions citées au point 10. Elles caractérisent donc une contravention de grande voirie réprimée par les mêmes dispositions.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de fixer le montant de l'amende due par Mme D... à raison de cette occupation irrégulière du domaine public fluvial à la somme de 150 euros.

Sur l'action domaniale :

14. Mme D... n'indique pas en cause d'appel qu'elle aurait démonté les constructions édifiées sans autorisation sur le domaine public fluvial mais au contraire qu'elle a entrepris des démarches pour les pérenniser. Dans ces conditions, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à l'enlèvement de ses constructions, et ce dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 20 euros par jour de retard. A défaut, Voies navigables de France est autorisé à procéder d'office à cet enlèvement, au besoin avec le concours de la force publique et aux frais et risques de la contrevenante.

Sur la demande d'autorisation d'occupation du domaine public :

15. Mme D... demande à la cour de l'autoriser à occuper le domaine public fluvial. De telles conclusions excèdent le pouvoir du juge de la contravention de grande voirie et constituent par ailleurs des conclusions nouvelles en appel. Par suite, il y a lieu de faire droit à la fin de non-recevoir opposée par l'établissement public Voies navigables de France à ces conclusions.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

16. Si l'établissement public Voies navigables de France demandait, en première instance, le paiement de la somme de 250 euros correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal et de sa notification ainsi qu'aux frais de la notification du jugement par voie d'huissier, il ne justifie nullement du montant des frais relatifs au procès-verbal qui a été notifié par voie postale, ni de la nécessité de recourir à un huissier alors que la notification du jugement comme celle du procès-verbal peut être effectuée par voie administrative. Les demandes de Voies navigables de France présentées à ce titre doivent donc être rejetées.

17. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme de 1 500 euros réclamée par Voies navigables de France en cause d'appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 24 juin 2021 est annulé.

Article 2 : Mme D... est condamnée à payer une amende de 150 euros.

Article 3 : Il est enjoint à Mme D... de procéder à l'enlèvement de ses constructions sur le domaine public fluvial dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 20 euros par jour de retard.

Article 4 : Voies navigables de France est autorisé, passé le délai mentionné à l'article 3, à procéder à l'enlèvement d'office de ces constructions, aux frais et risques de Mme D....

Article 5 : Mme D... versera la somme de 1 500 euros à Voies navigables de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 7 : Le surplus des demandes présentées par l'établissement public Voies navigables de France est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... et à l'établissement public Voies navigables de France.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques de la Normandie et du département de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 5 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2023,

Le rapporteur,

Signé : D. PerrinLe président de la 1ère chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA02357 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02357
Date de la décision : 30/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : DE LIPSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-01-30;21da02357 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award