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16/02/2023 | FRANCE | N°21DA02675

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 16 février 2023, 21DA02675


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2021 et un mémoire enregistré le 25 octobre 2022 et non communiqué, la société Eolis Sciron, représentée par Me Carl Enckell, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 20 mai 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé d'autoriser le parc éolien dit du " Riot de la ville " sur le territoire des communes de Busigny et de Maretz ;

2°) d'enjoindre au préfet du Nord de reprendre l'examen de sa demande déposée le 24 juillet 2018, dans un délai d'un

mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoin...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2021 et un mémoire enregistré le 25 octobre 2022 et non communiqué, la société Eolis Sciron, représentée par Me Carl Enckell, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 20 mai 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé d'autoriser le parc éolien dit du " Riot de la ville " sur le territoire des communes de Busigny et de Maretz ;

2°) d'enjoindre au préfet du Nord de reprendre l'examen de sa demande déposée le 24 juillet 2018, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Nord de reprendre l'examen de sa demande déposée le 24 juillet 2018, après le dépôt d'une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- l'autorité environnementale n'a pas été consultée ;

- le préfet aurait dû respecter une procédure contradictoire avant de prendre sa décision ;

- les impacts du projet ne sont significatifs ni pour l'avifaune ni pour les chiroptères ;

- le préfet ne pouvait pas refuser l'autorisation sollicitée sans examiner si la prescription de mesures additionnelles telles qu'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées ne permettait pas d'autoriser le projet.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 20 septembre 2022 et le 27 janvier 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

La clôture de l'instruction a été fixée, la dernière fois, au 27 janvier 2023 à 12 heures par ordonnance du 2 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté ministériel du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté ministériel du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et leurs modalités de protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Elodie Fesquet, représentant la société Eolis Sciron.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eolis Sciron a déposé, le 24 juillet 2018, une demande d'autorisation environnementale afin de construire et d'exploiter le parc éolien dit du " Riot de la ville " composé de quatre aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire des communes de Busigny et de Maretz dans le Nord. Par un arrêté du 20 mai 2021, le préfet du Nord a rejeté cette demande. La société a formé, le 21 juillet 2021, un recours gracieux contre cette demande. En l'absence de réponse, elle demande que cet arrêté soit annulé et qu'il soit enjoint au préfet de reprendre l'examen de cette demande.

Sur les conclusions d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

S'agissant de la motivation de l'arrêté :

2. En premier lieu, l'arrêté contesté vise les textes dont il fait application. En particulier, dans son dernier considérant, le préfet indique qu'il est tenu de refuser la demande en application du 3° de l'article R.181-34 du code de l'environnement dont il a repris les dispositions. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation en droit doit donc être écarté.

3. En second lieu, l'arrêté contesté comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, il précise de manière détaillée, tant pour l'atteinte à l'avifaune que pour celle aux chiroptères, que l'étude d'impact sous-évalue les impacts du projet et que les mesures prises pour pallier ces atteintes sont insuffisantes. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation en fait doit également être écarté.

S'agissant de l'absence d'avis de l'autorité environnementale :

4. Aux termes de l'article L. 181-9 du code de l'environnement dans sa rédaction à la date de la décision : " L'instruction de la demande d'autorisation environnementale se déroule en trois phases : / 1° Une phase d'examen ; / 2° Une phase d'enquête publique ; / 3° Une phase de décision. / Toutefois, l'autorité administrative compétente peut rejeter la demande à l'issue de la phase d'examen lorsque celle-ci fait apparaître que l'autorisation ne peut être accordée en l'état du dossier ou du projet. / Il en va notamment ainsi lorsque l'autorisation environnementale ou, le cas échéant, l'autorisation d'urbanisme nécessaire à la réalisation du projet, apparaît manifestement insusceptible d'être délivrée eu égard à l'affectation des sols définie par le plan local d'urbanisme ou le document en tenant lieu ou la carte communale en vigueur au moment de l'instruction, à moins qu'une procédure de révision, de modification ou de mise en compatibilité du document d'urbanisme ayant pour effet de permettre cette délivrance soit engagée. ".

5. Si l'article R. 181-19 du code de l'environnement prévoit la saisine de l'autorité environnementale dans les quarante-cinq jours suivant l'accusé de réception de la demande d'autorisation environnementale, aucune disposition ni aucun principe ne prévoit que cette autorité doive rendre un avis avant un rejet de la demande intervenant en phase d'examen préalable sur le fondement de l'article L. 181-9 du code de l'environnement. Le moyen tiré de l'absence de saisine de l'autorité environnementale doit donc être écarté comme inopérant.

S'agissant du respect d'une procédure contradictoire :

6. En premier lieu, la procédure contradictoire préalable prévue par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas requise, selon les termes mêmes de cette disposition, lorsqu'il est statué sur une demande, ce qui est le cas en l'espèce.

7. En second lieu, si la société invoque l'article R. 181-40 du code de l'environnement qui prévoit que le projet d'arrêté statuant sur la demande d'autorisation environnementale est communiqué au pétitionnaire, cet article se situe dans la sous-section 3, relative à la phase de décision, de la section 3 du chapitre unique du titre VIII du livre 1er de la partie règlementaire de ce code et il ne s'applique donc pas aux demandes qui, comme en l'espèce, sont rejetées en phase d'examen, avant la phase d'enquête publique et la phase de décision.

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de procédure contradictoire doit également être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne la légalité interne :

9. D'une part, aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. " et aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

10. D'autre part, l'article R. 181-34 du code de l'environnement dispose : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / (...) / 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables. / (...) ".

S'agissant de l'avifaune :

11. En premier lieu, il résulte de l'étude d'impact que le projet est situé à plus de 7 kilomètres des couloirs migratoires identifiés, que les enjeux relatifs à l'avifaune peuvent être qualifiés de faibles, que le site présente à cet égard un intérêt limité, même si des espèces protégées, en danger ou menacées y ont été recensées, et que l'impact sur l'avifaune peut être qualifié de très faible à modéré compte tenu notamment de la faible fréquentation du site.

12. En deuxième lieu, si le ministre de la transition écologique soutient en défense que les enjeux pour l'avifaune ont été sous-évalués, il résulte de l'étude d'impact que l'incidence du projet pour chacune des espèces a été correctement analysée en prenant en compte sa présence sur le site, son degré de protection et sa sensibilité à l'éolien.

13. En troisième lieu, la société pétitionnaire a proposé des mesures de nature à réduire le risque, en implantant les éoliennes parallèlement aux couloirs de migration, en ménageant entre les éoliennes une distance de plus de 250 mètres, en mettant en place un revêtement minéral à la base de chaque éolienne et en effectuant les travaux de construction en dehors des périodes de nidification. Elle a proposé également un suivi spécifique des couples de busards cendrés permettant le déplacement de leurs nids en cas de risque élevé.

14. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le risque pour l'avifaune n'apparaît pas significatif. Le préfet n'était donc pas fondé à rejeter pour ce motif, dès la phase d'examen, la demande de la société Eolis Sciron.

S'agissant des chiroptères :

15. En premier lieu, il résulte de l'étude d'impact que si les contacts mesurés avec la pipistrelle commune, au sol comme à 3 mètres de hauteur, ont été nombreux, l'incidence du projet sur cette espèce peut être qualifiée de modérée.

16. En deuxième lieu, l'étude d'impact a également relevé que la présence d'individus du groupe des noctules et de celui des sérotines avait été attestée à 45 mètres de hauteur, a qualifié les enjeux du site comme forts pour ces groupes, ces espèces étant toutes protégées par l'arrêté ministériel du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, et a conclu à l'existence d'enjeux forts du projet pour les chiroptères en bordure des boisements et au nord du périmètre d'étude.

17. Si l'étude d'impact a préconisé le déplacement des éoliennes pour les éloigner des boisements, elle a toutefois indiqué que cette solution n'était pas envisageable, compte tenu du respect des enjeux paysagers et des contraintes d'acquisition foncière.

Quant à l'éolienne E3 :

18. En premier lieu, cette éolienne est située à 75 mètres d'un boisement. Or l'étude d'impact a relevé que des zones de chasse à enjeux forts, selon un axe est-ouest, avaient été identifiées le long de ce boisement situé à l'est de l'éolienne. Par ailleurs, la garde au sol des pales est inférieure à 50 mètres. Dans ces conditions et alors que le déplacement de l'éolienne, ainsi qu'il a été dit, a été exclu par l'étude d'impact, les mesures de réduction du risque représenté par cette éolienne qui ont été proposées par la société apparaissent insuffisantes pour réduire le risque à un niveau non significatif.

19. En deuxième lieu, en rejetant la demande d'autorisation, le préfet a nécessairement estimé qu'une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées ne pouvait pas être accordée compte tenu d'un risque suffisamment caractérisé, même après prise en compte des mesures d'évitement et de réduction, d'atteinte portée à ces espèces de nature à nuire à leur maintien dans un état de conservation favorable. Au surplus, la société, alors pourtant qu'elle avait connaissance de l'enjeu afférent à cette éolienne, n'a pas sollicité une telle dérogation.

20. Dans ces conditions, le préfet était fondé à refuser d'autoriser cette éolienne, dès le stade de l'examen, pour ce seul motif.

Quant aux éoliennes E2, E4 et E5 :

21. En premier lieu, si l'implantation des éoliennes E5 et E4 est prévue à 85 mètres et 100 mètres de friches arbustives et celle de l'éolienne E2 à 175 mètres d'un bosquet, ni l'arrêté ni l'avis de la direction départementale des territoires et de la mer n'ont état fait état d'un risque spécifique créé par ces machines.

22. En deuxième lieu, il résulte de l'étude d'impact que si les éoliennes E2 et E5 sont situées à proximité d'une zone de chasse, celle-ci présente un enjeu qui peut être qualifié de modéré et la société pétitionnaire a proposé de grillager les possibilités de nids dans les machines et de brider les appareils de mai à fin octobre, pendant quatre heures après le coucher de soleil, lorsque la température est supérieure à 13°C et lorsque la vitesse du vent est inférieure à 6 mètres par seconde. Ces mesures apparaissent de nature à réduire le risque, compte tenu de la localisation de ces éoliennes, à un niveau non significatif. Les mesures de réduction et de compensation pourront au surplus être renforcées, si nécessaires, après instruction complète de la demande à l'issue de la phase de décision.

23. Dans ces conditions, le préfet n'était pas fondé à rejeter la demande de la société Eolis Sciron, dès le stade de son examen, s'agissant des éoliennes E2, E4 et E5.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

25. L'annulation partielle de l'arrêté du 20 mai 2021 implique seulement que le préfet reprenne l'examen de la demande de la société Eolis Sciron en ce qui concerne les seules éoliennes E2, E4 et E5 et les postes de livraison nécessaires à ces installations Il convient d'enjoindre au préfet de reprendre cette instruction dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

26. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Eolis Sciron sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 20 mai 2021 du préfet du Nord est annulé en tant qu'il a rejeté, dès la phase d'examen, la demande de la société Eolis Sciron d'autoriser les éoliennes E2, E4 et E5.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de reprendre l'instruction de la demande de la société Eolis Sciron en ce qui concerne les éoliennes E2, E4 et E5, et les postes de livraison nécessaires à ces installations dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Eolis Sciron au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Eolis Sciron est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eolis Sciron et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 2 février 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2023.

Le rapporteur

Signé:

D. PerrinLe président de la 1ère chambre,

Signé:

M. A...

La greffière,

Signé:

C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA02675 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02675
Date de la décision : 16/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SELARL ENCKELL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-02-16;21da02675 ?
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