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06/07/2022 | FRANCE | N°21LY01161

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 06 juillet 2022, 21LY01161


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... E... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2006033 du 20 novembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 12 avril 2021, Mme D..., représenté

e par Me Dachary, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°)...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... E... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 5 février 2020 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2006033 du 20 novembre 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 12 avril 2021, Mme D..., représentée par Me Dachary, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la légalité de la décision de remise :

- elle méconnaît l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 5 de l'accord relatif à la prise en charge des personnes à la frontière conclu avec l'Italie le 3 octobre 1997 ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la légalité de la décision d'interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans :

- elle méconnaît l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

La requête a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a produit aucune observation.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi par le préfet du Rhône qui a pris à l'encontre de Mme D... une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans sur le fondement du II de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que l'intéressée n'est pas titulaire d'un titre de séjour dans un autre Etat membre de l'Union européenne.

Par une décision du 3 février 2021, la demande d'aide juridictionnelle de Mme D... a été rejetée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Chambéry le 3 octobre 1997 ;

- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les observations de Me Dachary, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante de République Dominicaine née le 25 mars 1982, mariée à un ressortissant italien, est entrée pour la première fois en France en 2012, selon ses déclarations, et a été interpellée le 4 février 2020 pour des faits de proxénétisme. Le 4 février 2020, le préfet du Rhône a adressé aux autorités italiennes une demande de réadmission. Par un arrêté du 5 février 2020, le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans. Mme D... relève appel du jugement du 20 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de la décision de remise aux autorités italiennes :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes du I. de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne, en vigueur au 13 janvier 2009. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-1 du même code : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni :1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement ; 3° Des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il se propose d'en exercer une. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes:/ a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière (...) / b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil, sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour en cours de validité / c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine (...) ; e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l'ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l'un des États membres (...). ".

4. Enfin, aux termes de l'article 5 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière signé le 3 octobre 1997 : " 1. Chaque Partie contractante réadmet sur son territoire, à la demande de l'autre Partie contractante et sans formalités, le ressortissant d'un Etat tiers qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d'entrée ou de séjour applicables sur le territoire de la Partie contractante requérante pour autant qu'il est établi que ce ressortissant est entré sur le territoire de cette Partie après avoir séjourné ou transité par le territoire de la Partie contractante requise. (...) 3. La demande de réadmission doit être transmise dans un délai de trois mois à compter de la constatation par la Partie contractante requérante de la présence irrégulière sur son territoire du ressortissant d'un Etat tiers. ".

5. Pour décider la remise de Mme D... aux autorités italiennes, le préfet du Rhône a relevé que l'intéressée était entrée en France directement depuis l'Italie, où, selon ses déclarations, séjourne son mari et où elle effectue des séjours réguliers, sans être titulaire d'un visa ou d'un titre de séjour et sans être en mesure de justifier de ses moyens d'existence. Il est constant que la requérante est entrée en France en provenance de l'Italie. Si elle fait valoir que son dernier séjour en France est inférieur à trois mois, elle n'apporte à l'appui de cette affirmation aucune précision ni aucun justificatif permettant de l'établir, alors au demeurant qu'elle a indiqué, lors de son audition par les services de police le 3 février 2021, être entrée pour la première fois en France en 2012 et être titulaire d'un bail de location d'un appartement à Anthony. En outre, en se bornant à produire une copie de son acte de mariage, une attestation d'hébergement établie par son mari ainsi qu'un récépissé de demande de titre de séjour formée en Italie le 6 août 2019, Mme D... n'établit pas qu'elle est admise au séjour dans ce pays. Enfin, si elle a déclaré, lors de son audition par les services de police, percevoir de son activité de prostitution des revenus mensuels compris entre 2 000 et 3 000 euros par mois, la requérante, qui n'apporte à l'appui de cette affirmation aucune pièce justificative, ne saurait être regardée comme justifiant de moyens de subsistance suffisants pour son séjour en France. Par suite, et à supposer même que, comme elle le soutient, son maintien en France n'est pas susceptible d'entraîner une menace pour l'ordre public, Mme D..., qui n'était titulaire ni d'un document de voyage en cours de validité ni d'un titre de séjour, et qui ne justifie pas disposer de moyens de subsistance suffisants, était au nombre des étrangers pouvant faire l'objet d'une décision de remise aux autorités italiennes sur le fondement des dispositions précitées du I de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. En second lieu, en se bornant à faire valoir qu'elle séjourne en France depuis moins de trois mois, qu'elle dispose de moyens d'existence suffisants, sans au demeurant en justifier, et qu'elle ne constitue pas une menace pour l'ordre public, dès lors que les faits de proxénétisme qui lui sont reprochés n'ont pas donné lieu à un jugement définitif, Mme D... n'établit pas qu'en décidant sa remise aux autorités italiennes, le préfet du Rhône aurait, dans les circonstances de l'espèce, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité de la décision d'interdiction de circulation sur le territoire français :

7. Aux termes du II de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " II. - L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision de remise prise en application du premier alinéa du I à l'encontre d'un étranger titulaire d'un titre de séjour dans un autre Etat membre de l'Union européenne d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. (...) Le prononcé et la durée de l'interdiction de circulation sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "

8. Il résulte de l'instruction, ainsi au demeurant que le préfet du Rhône l'a relevé dans l'arrêté contesté et dans ses observations présentées devant le tribunal, que Mme D..., qui n'a pas été en mesure de présenter un titre de séjour italien en cours de validité, n'est admise au séjour ni dans cet Etat ni dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Dans ces conditions, en prononçant à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans, laquelle ne peut, en vertu du II de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assortir la décision de remise que dans le cas où l'étranger est titulaire d'un titre de séjour dans un autre Etat membre de l'Union européenne, le préfet du Rhône a méconnu le champ d'application de ces dispositions.

9. Il suit de là, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens invoqués par l'appelante à l'encontre de la décision d'interdiction de circulation sur le territoire français contenue dans l'arrêté en litige, que cette décision ne peut qu'être annulée.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande Mme D... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 5 février 2020 par laquelle le préfet du Rhône a prononcé à l'encontre de Mme D... une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de deux ans est annulée.

Article 2 : Le jugement n° 2006033 du tribunal administratif de Lyon du 20 novembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Evrard, présidente-assesseure,

Mme Caraës, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 6 juillet 2022.

La rapporteure,

A. C... Le président,

D. Pruvost,

La greffière,

M.-A.... Pillet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01161


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01161
Date de la décision : 06/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme VINET
Avocat(s) : DACHARY

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2022-07-06;21ly01161 ?
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