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18/12/2014 | FRANCE | N°11MA03846

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 18 décembre 2014, 11MA03846


Vu, avec les mémoires et pièces qui y sont visés, l'arrêt en date du 3 avril 2014, par lequel la cour administrative d'appel a ordonné une expertise avant de statuer sur les préjudices personnels que M. B...estime avoir subis du fait de son intervention chirurgicale le 22 novembre 1998 à l'hôpital Nord à Marseille et sur ses conclusions tendant à la réformation de l'article 1er du jugement du 29 juillet 2011 du tribunal administratif de Marseille, en tant que, par cet article, les premiers juges ont condamné l'APHM à verser à M. B...une somme limitée à 650 euros en réparation

de ses préjudices personnels ;

Vu le rapport déposé par l'exper...

Vu, avec les mémoires et pièces qui y sont visés, l'arrêt en date du 3 avril 2014, par lequel la cour administrative d'appel a ordonné une expertise avant de statuer sur les préjudices personnels que M. B...estime avoir subis du fait de son intervention chirurgicale le 22 novembre 1998 à l'hôpital Nord à Marseille et sur ses conclusions tendant à la réformation de l'article 1er du jugement du 29 juillet 2011 du tribunal administratif de Marseille, en tant que, par cet article, les premiers juges ont condamné l'APHM à verser à M. B...une somme limitée à 650 euros en réparation de ses préjudices personnels ;

Vu le rapport déposé par l'expert au greffe de la Cour le 20 juin 2014 et communiqué à l'ensemble des parties ;

Vu l'ordonnance en date du 24 juin 2014 par laquelle le président de la Cour a taxé et liquidé à la somme de 1 020,67 euros les frais et honoraires de l'expertise ;

Vu, enregistré le 24 juillet 2014, le mémoire présenté pour l'assistance publique-hôpitaux de Marseille, représentée par son directeur en exercice, par MeC..., qui persiste dans ses précédentes écritures et conclut au rejet de la requête ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 novembre 2014 :

- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique ;

- et les observations de M.B... ;

1. Considérant que, par arrêt avant-dire-droit du 3 avril 2014 devenu définitif et passé en force de la chose jugée, la Cour de céans a estimé que le lien de causalité entre la section du nerf moteur du muscle jumeau interne du mollet gauche de M. B...et l'atrophie de ce muscle jumeau par dénervation était établi, que le service de chirurgie vasculaire de l'hôpital Nord, qui dépend de l'assistance publique hôpitaux de Marseille (APHM), avait manqué à son obligation de moyen en ne mettant pas en oeuvre les investigations nécessaires avant de procéder à la résection de ce nerf, que le chirurgien avait commis un geste fautif en lien avec une erreur de diagnostic et que le défaut de consentement du patient au sectionnement du nerf moteur gastrocnémien avant l'opération lui ouvrait droit à la réparation totale des conséquences dommageables de cette intervention ; que cet arrêt a, avant de se prononcer sur la demande indemnitaire de M.B..., ordonné un complément d'expertise afin notamment de savoir si la dénervation, puis l'atrophie du muscle ont contribué à la survenue de pathologies périphériques ultérieures, telles des tendinites au talon d'Achille et des déchirures musculaires des deux membres inférieurs et à l'apparition de douleurs aux ménisques et d'épines calcanéennes et a réservé tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'était pas expressément statué ; que le rapport de l'expert a été rendu le 20 juin 2014 ; que les parties ont pu formuler des observations sur ce rapport ;

Sur la régularité des opérations d'expertise :

2. Considérant, en premier lieu, que M. B...soutient que l'expert a méconnu le principe du contradictoire pour n'avoir ni cité, ni pris en compte, ni annexé dans son rapport déposé le 20 juin 2014 son dire n° 1 ; que ce dire n° 1, reçu le 7 mai 2014 par l'expert qui ne le consigne pas dans son rapport, comporte, outre la communication de pièces, des observations strictement identiques à celles formulées dans son dire n° 2, qui sont quant à elles consignées et commentées dans le rapport de l'expert ; que, par suite, M. B...n'est pas fondé à soutenir que le principe du contradictoire n'a pas été respecté ; que le requérant ne peut pas utilement soutenir que le probable dire que l'APHM aurait déposé au cours de l'expertise n'aurait pas non plus été annexé à ce rapport, alors que l'APHM ne soutient pas avoir déposé un dire pendant le déroulement de l'expertise ;

3. Considérant, en second lieu, que le requérant soutient que l'expert, chirurgien orthopédique, expert près de la cour d'appel de Bordeaux, aurait fait preuve de partialité dans l'accomplissement de sa mission ; qu'il résulte de l'instruction que l'expert a procédé à un examen clinique attentif du patient, qu'il a écouté scrupuleusement les doléances du requérant et a examiné tous les documents médicaux disponibles lui permettant de se forger son opinion en toute connaissance de cause ; qu'il a rempli la mission qui lui était confiée ; que, dans ces conditions, ce rapport n'est pas de nature à susciter un doute sur l'impartialité de son auteur ; que la circonstance que l'expert a estimé que le retentissement physique de l'atrophie complète du jumeau interne du fait de la section de son nerf moteur doit être regardé comme "très partiel sur la survenue de tendinites et de contraintes plantaires des deux membres inférieurs" n'établit pas par elle-même que l'expert aurait, par complaisance envers le confrère qui a opéré le requérant en 1998 ou envers le premier expert qui a rendu son rapport en 2011 et qui exerce aussi à l'hôpital Pellegrin de Bordeaux, rempli sa mission sans objectivité ; que, par suite, les conclusions de M. B...visant à ce que la Cour écarte les conclusions de cette expertise doivent être rejetées ;

Sur le lien de causalité entre la faute du centre hospitalier et l'apparition de pathologies périphériques ultérieures :

4. Considérant que la Cour, dans son arrêt avant dire droit devenu définitif a estimé que le défaut de consentement de M. B...à la résection du nerf avant l'opération litigieuse est à l'origine directe de l'atrophie de ce muscle jumeau par dénervation et entraine la réparation intégrale des conséquences dommageables de son intervention ;

5. Considérant qu'en ce qui concerne l'étendue de ces conséquences dommageables, l'expert désigné par le tribunal administratif a retenu un déficit fonctionnel permanent de 5 % et un préjudice esthétique évalué à 2/7 en raison de l'atrophie de la loge interne de la jambe gauche ; qu'il a en revanche exclu le déficit fonctionnel temporaire en lien avec les complications de l'opération et le pretium doloris, au motif que les douleurs du requérant proviennent de tendinopathies résultant exclusivement de la pratique intensive de la course ; qu'il a enfin évoqué un possible préjudice d'agrément constitué par l'abandon des marathons au profit des semi-marathons, tout en rappelant qu'avant l'intervention litigieuse, les performances de M. B...étaient déjà altérées ; que l'expert désigné par la Cour retient quant à lui l'atrophie du jumeau interne par dénervation et confirme " l'imputabilité totale, certaine, et exclusive sur l'atteinte du jumeau interne gauche ", puis admet pour sa part " une imputabilité partielle sur les conséquences de cette lésion - à savoir la survenue de tendinites et contraintes plantaires aux deux membres inférieurs - évaluée à 10 % ", compte tenu de la part prépondérante des facteurs de vieillissement tendineux et de la pratique sportive intensive ; qu'il fixe la date de consolidation au 1er avril 2003 et retient un déficit fonctionnel permanent de 7 % constitué par la section du nerf et la gêne au niveau de la statique du pied, un déficit fonctionnel temporaire de classe I, des souffrances et un préjudice esthétique de 1 sur 7, un préjudice d'agrément à moduler en fonction des capacités physiques antérieures et de l'évolution naturelle des atteintes anatomiques dégénératives ;

6. Considérant que le premier expert a fixé la date de consolidation du requérant au 1er avril 2003, date de la découverte par échographie de la transformation fibreuse du muscle gastrocnémien interne de M.B... ; que, toutefois, le nerf moteur du muscle jumeau interne gauche a été sectionné irrémédiablement lors de son opération du 22 novembre 1998, dès lors qu'aucune chirurgie de suture nerveuse n'a été immédiatement mise en place et que l'atrophie était donc inévitable ; que, par suite, il y a lieu de prendre comme date de consolidation de la seule dénervation du muscle jumeau interne le 22 novembre 1998, lorsque le requérant était âgé de 44 ans ; qu'en revanche, il y a lieu de prendre en compte la date du 1er avril 2003, lorsque le requérant était âgé de 49 ans, comme date de consolidation de sa tendinopathie secondaire à l'atrophie du muscle, alors même que M. B...suivrait toujours des traitements pour en éviter l'aggravation ;

En ce qui concerne les préjudices résultant directement et exclusivement de la dénervation du muscle jumeau :

7. Considérant que ce dommage est directement et totalement imputable aux fautes du centre hospitalier retenues dans l'arrêt avant dire droit susmentionné du 3 avril 2014 ; que l'expert a retenu, s'agissant de la seule atrophie du muscle jumeau interne et l'atteinte à l'intégrité physique et physique, un taux de 5 % ; que ce taux ne peut être porté, comme le demande M.B..., à 20 %, qui correspondrait à la paralysie du nerf entier sciatique poplité interne, dont le nerf du jumeau interne n'est qu'une branche ; que le préjudice esthétique, qui avait été évalué à 2/7 par le premier expert pour la seule atrophie de la loge de la jambe gauche et à 1/7 par le second expert en raison notamment de cicatrices alors même que celles-ci étaient inévitables quelle que soit l'intervention, peut être fixé à 1,5/7 ; que l'absence de toute information et de consentement de M. B...à l'opération de résection du nerf moteur du muscle jumeau interne a privé ce dernier de la possibilité de solliciter une chirurgie réparatrice par une suture du nerf et d'adapter sa conduite ultérieure en termes de rééducation et de pratique sportive, ce qui est de nature à constituer un préjudice moral évident ; qu'il sera fait une juste appréciation de ses troubles dans les conditions d'existence en lui allouant la somme de 7 500 euros pour les préjudices subis du fait de la faute initiale du centre hospitalier ;

En ce qui concerne les conséquences secondaires de l'atrophie du muscle jumeau interne gauche :

8. Considérant que l'expert désigné par la Cour a conclu à l'existence d'un lien probable entre l'atrophie du muscle jumeau interne et la survenue de tendinopathies, de douleurs musculaires et aux ménisques, y compris à droite par un phénomène de compensation, mais a minimisé la part de l'incidence de l'atrophie du muscle jumeau interne gauche au motif que les deux autres muscles du triceps sural sont capables de suppléer en grande partie la défaillance d'un seul, que les lésions tendineuses et plantaires, survenues à distance de l'intervention litigieuse, sont imputables au sport et à l'hyperactivité dans 75 % des cas chez les sportifs, que le vieillissement tendineux et les lésions dégénératives des deux genoux étaient inéluctables et que, sans l'intervention chirurgicale, M. B...aurait connu de graves complications veineuses et musculaires et qu'en tout état de cause, 60 % des opérés par aponévrotomies de décompression gardent un niveau sportif inférieur à celui précédant l'apparition du syndrome ; que l'expert a ainsi retenu un rôle causal modeste, limité à 10 % et a chiffré son déficit fonctionnel permanent résultant d'une gêne au niveau de la statique du pied à 2 %, venant s'ajoutant aux 5 % de déficit fonctionnel permanent résultant de l'atteinte au nerf moteur du muscle jumeau ; que M. B...conteste ce taux en faisant valoir que la compensation des autres muscles du triceps sural relevée par l'expert n'est pas totale et qu'elle est en outre subordonnée à un entraînement judicieux dont il n'a pu bénéficier puisqu'il ignorait sa lésion nerveuse jusqu'en 2003 ; que les quatre praticiens hospitaliers qui ont suivi son état de santé relèvent en termes concordants un lien entre l'atrophie du muscle jumeau interne et " un cortège de plusieurs troubles ", même après l'arrêt de la course, par l'effet de compensation, à savoir notamment un déséquilibre musculaire, une augmentation du volume du tendon calcanéen gauche, une sur-utilisation des groupes musculaires résiduels à l'origine de crampes et une dégradation des deux genoux ; que ces éléments circonstanciés contredisent l'analyse de l'expert qui a retenu une analyse étroite des effets de l'atrophie musculaire en la bornant à une gêne au niveau de la statique du pied gauche seulement, sans envisager d'autres parties des membres inferieurs en particulier une incidence sur les genoux s'agissant d'un sportif amateur et non professionnel, âgé de 49 ans à la date de la consolidation ; que, compte tenu des souffrances liées aux tendinites à répétition, du préjudice d'agrément résultant de la diminution de ses performances sportives puis de l'arrêt du rugby et de la course à pied, des troubles dans la vie quotidienne résultant du retentissement sur la marche à pied, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d'existence de M. B...en fixant à 3 000 euros la somme destinée à en réparer les conséquences secondaires imputables à la faute initiale du centre hospitalier ;

9. Considérant enfin que la demande du requérant formée sur le fondement du décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 portant diverses mesures relatives à la procédure contentieuse, abrogé le 1er janvier 1990, n'est pas relative à un préjudice et doit en tout état de cause être rejetée ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est seulement fondé à soutenir que la somme de 650 euros qui lui a été allouée par le jugement attaqué doit être portée à 10 500 euros au titre de la réparation de l'ensemble de ses préjudices ;

Sur les dépens :

11. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge définitive de l'APHM les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt du 3 avril 2014, taxés à la somme de 1 020,67 euros ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'APHM le versement de la somme de 2 000 euros à M. B...au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 650 euros que l'APHM a été condamnée à verser à M. B...par l'article 1er du jugement du 29 juillet 2011 du tribunal administratif de Marseille est portée à 10 500 euros.

Article 2 : Les frais de l'expertise, taxés à la somme de 1 020,67 euros, sont mis à la charge de l'APHM.

Article 3 : L'APHM versera la somme de 2 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille, à la caisse primaire d'assurance maladie de Bayonne et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

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N° 11MA03846 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11MA03846
Date de la décision : 18/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-04-02 Procédure. Instruction. Moyens d'investigation.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : LINVAL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2014-12-18;11ma03846 ?
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