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15/06/2017 | FRANCE | N°16MA04062

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 15 juin 2017, 16MA04062


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, Mme C...B...et M. E...B...ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 4 janvier 2012 du ministre de l'intérieur prononçant leur mutation à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var) à compter du 1er août 2012, ainsi que les deux décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux exercés le 13 février 2012 et les deux décisions explicites de rejet du 9 mai 2012 et, d'autre pa

rt, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de leur sit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, Mme C...B...et M. E...B...ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 4 janvier 2012 du ministre de l'intérieur prononçant leur mutation à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var) à compter du 1er août 2012, ainsi que les deux décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux exercés le 13 février 2012 et les deux décisions explicites de rejet du 9 mai 2012 et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de leur situation.

Par un jugement n° 1201604, 1201605 du 14 mars 2014, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 mai 2014 sous le n° 14MA02229, le ministre de l'intérieur a demandé à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 14 mars 2014 et de rejeter les demandes des épouxB....

Par un arrêt du 17 février 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement.

Par une décision n° 389770 du 21 octobre 2016, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'intérieur, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 février 2015 en tant qu'il a rejeté l'appel dirigé contre le jugement du 14 mars 2014 du tribunal administratif de Toulon annulant les arrêtés du 4 janvier 2012 en tant qu'ils rejettent la demande d'affectation définitive en Martinique de M. et Mme B... et en tant que son article 3 met à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. et Mme B..., et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la Cour, qui l'a enregistrée sous le n° 16MA04062.

Par un mémoire enregistré le 5 avril 2017, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 14 mars 2014 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme B...devant le tribunal administratif de Toulon.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 78-399 du 20 mars 1978 ;

- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- le décret n° 95-1197 du 6 novembre 1995 ;

- l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de l'article 28 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- l'arrêté du 8 octobre 2009 instituant les commissions administratives paritaires compétentes à l'égard des fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application de la police nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafay,

- et les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.

1. Considérant que M. et Mme B..., personnels actifs de la police nationale affectés à la circonscription de la sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var), ont été mutés dans le département de la Martinique, à compter du 1er février 2008 pour une durée de trois ans, par deux arrêtés du 17 décembre 2007 ; que cette affectation a été prolongée une première fois à leur demande pour une durée d'un an, par deux arrêtés du 4 octobre 2010 ; que par deux arrêtés du 4 janvier 2012, le ministre de l'intérieur leur a accordé une prolongation exceptionnelle de séjour à compter du 1er février 2012 jusqu'au 31 juillet 2012, afin de permettre à deux de leurs enfants d'achever leur année scolaire en Martinique, et a prononcé leur mutation à compter du 1er août 2012 dans leur circonscription d'origine ; que ces arrêtés ont en outre, implicitement mais nécessairement, eu pour effet de rejeter les demandes d'affectation dérogatoire sans limitation de durée que les intéressés avaient présentées par courriers du 21 février 2011 et du 16 mars 2011 ; que par un jugement du 14 mars 2014, le tribunal administratif de Toulon a fait droit aux demandes de M. et Mme B...tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés ; que par un arrêt du 17 février 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel du ministre de l'intérieur dirigé contre ce jugement ; que par une décision du 21 octobre 2016, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour, pour erreur de droit, en tant qu'il a rejeté l'appel dirigé contre le jugement du 14 mars 2014 du tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement prononçait l'annulation des refus d'affectation définitive en Martinique de M. et Mme B...contenus dans les arrêtés du 4 janvier 2012 ; que la décision du 21 octobre 2016 annule en outre, pour contradiction de motifs, l'article 3 de l'arrêt du 17 février 2015 mettant à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. et Mme B... ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de l'article 28 du décret du 9 mai 1995 : " I.-La durée de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer est fixée comme suit : Trois ans (...) en Martinique (...) ; III. - Il peut être dérogé à la durée de séjour, après avis des commissions administratives paritaires compétentes, pour des fonctionnaires servant outre-mer en cas : (...) 2. De circonstances graves ou exceptionnelles (...) " ; qu'aux termes de l'article 10 de l'arrêté du 8 octobre 2009 instituant les commissions administratives paritaires compétentes à l'égard des fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application de la police nationale : " Les commissions interdépartementales et locales préparent les travaux de la commission nationale en matière d'avancement de grade. Elles connaissent des actes pris en application du décret du 6 novembre 1995 susvisé complété par l'arrêté du 30 décembre 2005 susvisé, dans la limite des attributions conférées aux commissions par le décret du 28 mai 1982 susvisé " ;

3. Considérant qu'en absence de dispositions particulières donnant aux commissions administratives paritaires locales, compétence pour connaître des demandes de dérogation à la durée de séjour en Martinique de personnels actifs de la police nationale, de telles demandes relèvent de la compétence de la commission administrative paritaire nationale ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les demandes d'affectation dérogatoire sans limitation de durée présentées le 21 février 2011 et le 16 mars 2011 par M. et Mme B... ont été soumises à la commission administrative paritaire nationale du 1er juin 2011, qui a émis deux avis défavorables ; que par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon s'est fondé sur le moyen tiré du défaut de consultation de la commission administrative paritaire compétente pour annuler les arrêtés du 4 janvier 2012 en tant qu'ils rejetaient les demandes d'affectation définitive en Martinique ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Toulon à l'encontre de ces décisions ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces versées au dossier que les arrêtés contestés ont été signés par Mme D...A..., qui disposait d'une délégation de signature par décision du 6 septembre 2010, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française du 12 septembre 2010 à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, notamment les arrêtés portant mutation des brigadiers-chefs de police et gardiens de la paix ; que par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés contestés doit être écarté ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 : " II. - La durée de séjour n'est pas applicable : (...) 2. Aux fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités d'outre-mer s'ils en sont originaires ; (...) IV. - La qualité d'originaire s'apprécie à la date du dépôt de la demande de mutation en fonction du lieu de résidence habituelle, tel que défini par le décret du 20 mars 1978 susvisé (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 du décret du 20 mars 1978 relatif, pour les départements d'outre-mer, à la prise en charge des frais de voyage de congés bonifiés accordés aux magistrats et fonctionnaires civils de l'Etat : " Le lieu de résidence habituelle est le territoire européen de la France ou le département d'outre-mer où se trouve le centre des intérêts moraux et matériels de l'intéressé " ;

8. Considérant que M. et Mme B...soutiennent qu'en ce qu'elles disposent que " la durée maximale de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer n'est pas applicable aux fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités d'outre-mer s'ils en sont originaires ", les dispositions du 2 du II de l'article 1er de l'arrêté interministériel du 20 octobre 1995 méconnaissent les dispositions du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 qui interdisent les distinctions entre les fonctionnaires en raison de leur origine ; qu'il résulte toutefois des dispositions du IV de l'article 1er du même arrêté, combinées avec celles de l'article 3 du décret du 20 mars 1978 auxquelles il renvoie, qu'est " originaire " d'un département ou d'une collectivité d'outre-mer, au sens de cet arrêté, le fonctionnaire dont le centre des intérêts moraux et matériels se trouve dans ce département ou cette collectivité ; qu'en subordonnant le bénéfice des dispositions du 2 du II de l'article 1er à une telle condition, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les dispositions du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 ;

9. Considérant, en troisième lieu, que, si le 2 du II de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 cité au point 7, dans sa rédaction issue de l'arrêté modificatif du 15 mars 2007, exempte de la durée maximale d'affectation dans un département ou une collectivité d'outre-mer les fonctionnaires originaires de ce département ou de cette collectivité, il résulte des dispositions du IV du même article que la qualité " d'originaire " s'apprécie à la date de la demande de mutation ; qu'ainsi, pour demander à bénéficier de cette disposition, un fonctionnaire ne saurait utilement faire valoir qu'il aurait transféré le centre de ses intérêts moraux et matériels dans un département ou une collectivité d'outre-mer au cours de la période où il y a été affecté ; que par suite, les circonstances dont se prévalent M. et MmeB..., relatives à l'acquisition d'un bien immobilier en Martinique, à leur inscription sur les listes électorales, au transfert de leurs comptes bancaires et au lieu de scolarisation de leurs enfants, qui sont postérieures à leur affectation outre-mer, ne peuvent avoir eu pour effet de leur conférer la qualité d'" originaires " de La Martinique et de leur ouvrir droit au bénéfice des dispositions du 2 du II de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que les menaces dont M. et MmeB..., ainsi que leur famille, ont fait l'objet en raison de leur activité professionnelle, lors de leur affectation à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer, la dépression réactionnelle dont souffre Mme B...depuis l'annonce de sa mutation en métropole et la crainte de l'effet néfaste d'un tel retour pour les enfants du couple ne constituent pas des " circonstances exceptionnelles ", au sens des dispositions, citées au point 2, du 2 du III de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995, qui tiennent à la spécificité des conditions de service dans les territoires d'outre-mer et aux exigences du bon fonctionnement des services publics ;

11. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que, pour apprécier si une mutation porte une atteinte disproportionnée au droit d'un fonctionnaire au respect de sa vie privée et familiale, au sens de ces stipulations, il appartient au juge administratif de prendre en compte non seulement les conséquences de cette décision sur la situation personnelle ou familiale de l'intéressé, mais aussi le statut de celui-ci et les conditions de service propres à l'exercice des fonctions découlant de ce statut ;

12. Considérant qu'en dépit des circonstances mentionnées au point 10, les décisions de refus d'affectation définitive en Martinique opposés à M. et Mme B..., dont les mutations devaient intervenir à l'issue d'une durée de trois ans conformément aux dispositions statutaires applicables ainsi qu'aux mentions des arrêtés qui avaient affecté les intéressés outre-mer, qui n'ont pas pour effet de séparer les membres de la famille, ne peuvent, compte-tenu du statut des intéressés, des conditions de service propres à l'exercice de leurs fonctions de fonctionnaires actifs des services de la police nationale et de l'intérêt du service justifiant de limiter la durée d'affectation de ces fonctionnaires dans les départements et collectivités d'outre-mer, être regardées, eu égard tant à leur objet qu'à leurs effets, comme portant une atteinte disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale, au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé les arrêtés du 4 février 2012 en tant qu'ils rejettent la demande d'affectation définitive en Martinique de M. et Mme B...;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Considérant que le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de M. et Mme B...tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de réexaminer leur situation doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. et Mme B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 14 mars 2014 du tribunal administratif de Toulon est annulé en tant qu'il annule les arrêtés du ministre de l'intérieur du 4 janvier 2012 en tant qu'ils rejettent les demandes de M. et de Mme B...d'affectation sans limitation de durée à titre dérogatoire en Martinique.

Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme B...devant le tribunal administratif de Toulon, tendant à l'annulation des arrêtés du ministre de l'intérieur du 4 janvier 2012, en tant qu'ils rejettent leurs demandes d'affectation sans limitation de durée à titre dérogatoire en Martinique, et le surplus des conclusions qu'ils ont présentées sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E...B...et à Mme C...B....

Délibéré après l'audience du 1er juin 2017, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président,

- M. Laso, président-assesseur,

- M. Lafay, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 juin 2017.

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N° 16MA04062

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