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13/06/2018 | FRANCE | N°15MA02975

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, Chambres réunies, 13 juin 2018, 15MA02975


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur la demande qu'il lui a adressée le 13 mars 2013 et tendant au bénéfice des dispositions de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012.

Par une ordonnance du 18 juin 2013, le président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a transmis la demande de M. A... au tribunal administra

tif de Marseille.

Par un jugement n° 1304081 du 28 mai 2015, le tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur la demande qu'il lui a adressée le 13 mars 2013 et tendant au bénéfice des dispositions de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012.

Par une ordonnance du 18 juin 2013, le président de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a transmis la demande de M. A... au tribunal administratif de Marseille.

Par un jugement n° 1304081 du 28 mai 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 juillet 2015, M. A..., représenté par Me B..., de la SELARL Grimaldi - Molina et Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 mai 2015 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président du CNRS sur sa demande tendant au bénéfice des dispositions de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;

3°) d'enjoindre au CNRS de lui proposer un contrat à durée indéterminée, en application de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au CNRS de réexaminer sa demande du 13 mars 2013, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge du CNRS la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a omis de se prononcer sur la circonstance qu'il faisait toujours partie des effectifs du laboratoire d'astrophysique de Marseille ;

- il convient de prendre en compte pour l'application des dispositions de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 les périodes correspondant aux contrats à durée déterminée conclus avec un employeur autre que le CNRS mais portant sur le même emploi ;

- c'est à la demande de l'administration, laquelle a eu pour but de s'affranchir de ces dispositions, qu'il a travaillé sous le régime de l'auto-entreprise et cette manoeuvre constitue un détournement de procédure ;

- il faisait toujours partie des effectifs du laboratoire d'astrophysique de Marseille ;

- dans la mesure où le contrat de prestation de service conclu avec lui par le CNRS doit être requalifié en contrat de travail, il remplissait les conditions fixées par l'article 8 de cette loi pour prétendre au droit institué par le premier alinéa de celui-ci de se voir proposer par le CNRS la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 septembre 2015, le Centre national de la recherche scientifique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la demande de première instance n'est pas recevable en ce qu'elle tend à l'annulation d'une décision purement confirmative ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ;

- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Izarn de Villefort,

- les conclusions de M. Coutel, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., substituant Me B..., représentant M. A....

1. Il ressort des pièces du dossier que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a employé M. A..., en qualité d'informaticien analyste, pour réaliser des travaux de tests sur simulateur au Laboratoire d'astrophysique de Marseille (LAM), par dix contrats à durée déterminée, conclus sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 11 janvier 1984 alors en vigueur, le premier ayant pris effet le 10 mai 2004 et le dernier ayant expiré le 22 mars 2011. Puis, le CNRS a, le 6 mai 2011, conclu avec M. A..., en qualité " d'auto-entrepreneur ", un contrat de prestation de service portant sur le traitement d'images Rosetta/Osiris et cométaires au sein du même laboratoire, pour une durée de douze mois à compter du 2 mai 2011, un avenant signé le 4 mai 2012 ayant prorogé la durée de ce contrat jusqu'au 2 janvier 2013. Après avoir, une première fois, par lettre du 25 novembre 2011, demandé au CNRS d'examiner sa situation en vue de déterminer s'il pouvait bénéficier d'une titularisation ou d'un contrat à durée indéterminée, demande qui a été rejetée par une décision expresse du 1er juin 2012 du directeur des ressources humaines, M. A... a demandé, par lettre du 13 mars 2013, qu'il lui soit fait application des dispositions de l'article 8 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique. Par le jugement attaqué du 28 mai 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de M. A... dirigées contre la décision implicite de rejet opposée à cette demande.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le CNRS à la demande de M. A... devant le tribunal administratif :

2. Il ressort des pièces du dossier que la décision expresse du 1er juin 2012 a été communiquée à M. A..., à son ancienne adresse, et le pli recommandé a été retourné par La Poste au CNRS avec la mention " pli non distribuable - destinataire non identifiable ". Or, l'administration avait connaissance de sa nouvelle adresse qui figurait tant sur sa demande du 25 novembre 2011 à laquelle cette décision refusait de faire droit que sur le dernier avenant qu'il avait conclu avec le CNRS le 4 mai 2012. Cette décision ne peut donc être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à l'intéressé. Si le CNRS se prévaut d'un courriel transmettant copie de cette décision à M. A... et l'invitant à communiquer son adresse pour en recevoir un exemplaire original, aucun élément du dossier n'atteste, en tout état de cause, que l'intéressé a pris effectivement connaissance de ce courriel. Dans ces conditions, cette décision n'est pas devenue définitive. Par suite, et quand bien même la décision implicite de rejet contestée aurait le même objet que la décision du 1er juin 2012, aucune tardiveté ne saurait être opposée au requérant. La fin de non-recevoir invoquée par le CNRS doit, en conséquence, être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Aux termes de l'article 8 de la loi du 12 mars 2012 : " A la date de publication de la présente loi, la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée est obligatoirement proposée à l'agent contractuel, employé par l'État, l'un de ses établissements publics ou un établissement public local d'enseignement sur le fondement du dernier alinéa de l'article 3 ou des articles 4 ou 6 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée dans sa rédaction antérieure à celle résultant de la présente loi, qui se trouve en fonction ou bénéficie d'un congé prévu par le décret pris en application de l'article 7 de la même loi. Le droit défini au premier alinéa du présent article est subordonné à une durée de services publics effectifs, accomplis auprès du même département ministériel, de la même autorité publique ou du même établissement public, au moins égale à six années au cours des huit années précédant la publication de la présente loi ".

4. En application de ces dispositions, seuls les agents employés par une administration, à la date d'entrée en vigueur de la loi, sous couvert d'un contrat de recrutement à durée déterminée conclu sur le fondement des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 ainsi énumérées, doivent se voir proposer un contrat à durée indéterminée, s'ils justifient d'une durée de services publics effectifs au moins égale à six années au cours des huit années précédant cette date. Le bénéfice de ces dispositions ne saurait donc être invoqué par un travailleur indépendant qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi, est lié à l'administration par un contrat de prestation de services, sauf s'il est démontré que la conclusion de ce contrat est constitutive d'un détournement de procédure propre à dissimuler le lien de subordination auquel le cocontractant de l'administration est, en réalité, assujetti. En ce cas, il appartient alors au juge administratif de requalifier la relation contractuelle qui unit les parties et d'apprécier, en conséquence, si, en dépit de l'apparence formelle du contrat, les conditions posées par l'article 8 de la loi du 12 mars 2012 sont, de fait, remplies.

5. Il résulte de l'énoncé des faits rappelés au point 1 que, à la date d'expiration de son dernier contrat de recrutement le 22 mars 2011, M. A... avait travaillé pour le compte du CNRS en qualité d'agent contractuel pour une durée totale de cinq ans, sept mois et dix-sept jours. En incluant les périodes du 21 mai 2009 au 21 juillet 2009 et du 1er juin 2010 au 31 juillet 2010 au cours desquelles il avait été également recruté, sous contrat à durée déterminée, par l'Université de Provence d'Aix-Marseille I pour travailler au Laboratoire d'Astrophysique de Marseille, la durée de l'ensemble de ces contrats atteignait, à cette date, cinq ans, onze mois et dix-huit jours, soit quelques jours avant le seuil des six ans au-delà duquel, en application de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa rédaction alors en vigueur, un contrat à durée déterminée ne pouvait être reconduit que par une décision expresse et pour une durée indéterminée. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des échanges de courriels entre le CNRS et M. A..., que la conclusion d'un contrat de prestation de service a ainsi délibérément été envisagée comme un " montage " pour permettre à M. A... de poursuivre, au sein du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille, les activités de traitement des images issues de la sonde spatiale Rosetta et d'analyse de celles provenant du satellite Soho, qu'il effectuait antérieurement en qualité d'agent contractuel. S'il peut être admis que M. A... a, à son initiative, fait les démarches pour se déclarer comme travailleur indépendant, il n'en reste pas moins qu'il n'a adopté ce statut que pour poursuivre une unique activité pour le compte du CNRS, dans les locaux et avec les moyens du Laboratoire d'Astrophysique de Marseille. Aux termes du contrat de prestations de services, il est resté placé sous la " responsabilité scientifique " du responsable de l'équipe scientifique " système solaire " déjà en fonctions auparavant.

Par ailleurs, la " contribution forfaitaire " due à l'intéressé, aux termes du contrat de prestation de service, d'un montant bimestriel de 5 333 euros hors taxes puis, à compter du 4 mai 2012, de 5 425 euros hors taxes n'était pas sensiblement éloignée de la rémunération mensuelle brute de 2 317,82 euros, soit 27 813,84 euros par an, qu'il percevait précédemment au titre de son contrat à durée déterminée. Dès lors, quand bien même M. A... n'a plus été mentionné sur l'organigramme du LAM postérieurement au 22 mars 2011, les conditions dans lesquelles il a exercé son activité suffisent à caractériser, en l'espèce, compte tenu du degré d'autonomie élevé dont disposent, en tout état de cause, les agents d'un laboratoire de recherches, l'existence d'un lien de subordination et ainsi, d'une relation de travail de la nature de celle prévue par les articles 4 ou 6 de la loi du 11 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à la loi du 12 mars 2012. La conclusion du contrat de prestation de services litigieux dans le but de dissimuler ce lien pour faire échapper l'activité de M. A... aux dispositions de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984, alors en vigueur, est, en conséquence, constitutive d'un détournement de procédure.

6. Ainsi, M. A... est fondé à soutenir qu'en dépit de la volonté exprimée par les parties au contrat de prestations de service et de la dénomination donnée à ce contrat qui le liait au CNRS, à la date de publication de la loi du 12 mars 2012, il remplissait les conditions posées par son article 8, tenant tant à la nature effective de la relation contractuelle avec son employeur qu'à la durée des services publics qu'il avait accomplis au cours des huit années précédant cette date.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet par laquelle le CNRS a refusé de faire droit à sa demande du 13 mars 2013.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard à ses motifs, le présent arrêt implique nécessairement que le CNRS propose à M. A... de signer un contrat à durée indéterminée portant sur les fonctions d'informaticien analyste précédemment occupées par l'intéressé ou sur des fonctions équivalentes et prenant effet à compter du 13 mars 2012. Il y a lieu d'enjoindre au directeur du CNRS d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CNRS une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le CNRS au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : La décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président du CNRS sur la demande de M. A... tendant au bénéfice des dispositions de l'article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au CNRS de proposer à M. A... de signer un contrat à durée indéterminée portant sur les fonctions d'informaticien analyste précédemment occupées par l'intéressé ou sur des fonctions équivalentes et prenant effet à compter du 13 mars 2012 dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le CNRS versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions du CNRS présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A...et au Centre national de la recherche scientifique.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Hemlinger, présidente de la Cour,

- M. Gonzales, président de chambre,

- Mme Buccafuri, présidente de chambre,

- M. Pocheron, président de chambre,

- M Portail, président assesseur,

- M. Guidal, président assesseur,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- Mme C..., première conseillère,

- M. Maury, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 juin 2018.

N° 15MA02975 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : Chambres réunies
Numéro d'arrêt : 15MA02975
Date de la décision : 13/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Entrée en service.

Fonctionnaires et agents publics - Agents contractuels et temporaires.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : CALLEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-06-13;15ma02975 ?
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