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10/10/2022 | FRANCE | N°21MA02018

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 10 octobre 2022, 21MA02018


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 19 avril 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a enjoint de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a édicté à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2102177 du 22 avril 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté attaqué, mais

seulement en tant qu'il fixe la Russie comme pays de destination de la mesure d'éloignem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 19 avril 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a enjoint de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a édicté à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2102177 du 22 avril 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté attaqué, mais seulement en tant qu'il fixe la Russie comme pays de destination de la mesure d'éloignement et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 mai 2021, M. A..., représenté par Me Raissi-Fernandez, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 22 avril 2021 en ce qu'il a rejeté le surplus de ses demandes ;

2°) d'annuler les décisions encore attaquées ;

3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de mettre à jour le fichier relatif au système d'information Schengen (SIS) pour tenir compte de l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français ;

4°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la mesure d'éloignement méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît également l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le préfet ne pouvait valablement lui opposer dans l'arrêté attaqué les faits de vol de véhicule, vol en réunion et usage de fausse plaque ou de fausse inscription, compte tenu de sa qualité de parent d'un enfant citoyen de l'Union (CJUE 13 sept 2016 Alfredo Rendon Marin n° C-165/14) ;

- la mesure d'éloignement méconnaît également l'article 33 de la convention de Genève sur le statut des réfugiés ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation alors qu'il bénéficie de la qualité de réfugié qui lui a été accordée par la Pologne, comme tous les membres de sa famille et qu'il ne dispose plus de famille dans son pays d'origine ;

- la mesure d'éloignement ne peut pas être exécutée, le tribunal ayant annulé la décision fixant la Russie comme pays de destination ; les articles L. 611-1 et suivants et l'article L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont méconnus ;

- c'est à bon droit que le tribunal a annulé la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement qui était insuffisamment motivée, avait été édictée sans examen de la situation personnelle de l'intéressé, méconnaissait les articles L. 612-2, L. 721-4 (anciennement codifié à l'article L. 513-2) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire méconnaît l'ancien article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article L. 511-1 III alinéa 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifié à l'article L. 612-6 du même code, alors qu'il justifie de " circonstances humanitaires ", compte tenu de sa situation familiale et de sa personnalité, alors qu'il bénéficie de la qualité de réfugié.

Le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 modifié ;

- le décret du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant russe, a fait l'objet par un arrêté du 19 avril 2021 du préfet des Alpes-Maritimes d'une obligation de quitter le territoire français sans délai fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Il relève appel du jugement du 22 avril 2021 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice, après avoir annulé à l'article 2 la décision fixant le pays de destination, a toutefois rejeté à l'article 4 le surplus de sa demande d'annulation.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui soutient être présent en France depuis 2011, est en couple avec une compatriote avec laquelle il établit s'être marié religieusement le 9 juin 2019. Cette dernière bénéficie d'une carte de résident valable jusqu'au 12 janvier 2024 et de leur union est née le 10 octobre 2020 une petite fille qu'il a reconnue le 27 janvier 2021. Le requérant justifie également que ses parents, chez qui il déclare résider habituellement, et les trois membres de sa fratrie bénéficient du statut de réfugié en France. Quant à lui, il bénéficiait du statut de réfugié en Pologne depuis 2009 mais il fait valoir qu'il n'a pas été en mesure de procéder aux formalités de renouvellement en Pologne de ce titre qui arrivait à expiration en juin 2020, compte tenu de la situation sanitaire. Dans ces circonstances particulières, M. A... est fondé à soutenir qu'en lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai le préfet des Alpes-Maritimes a entaché son arrêté d'erreur manifeste d'appréciation. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens, il est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 19 avril 2021 portant obligation de quitter le territoire.

3. La décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans sera annulée, par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

4. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. ' [...] L'étranger à l'encontre duquel a été prise une interdiction de retour est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II). Les modalités de suppression du signalement de l'étranger en cas d'annulation ou d'abrogation de l'interdiction de retour sont fixées par voie réglementaire. ". Et selon l'article R. 511-3 du même code : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour prise en application du III de l'article L. 511-1 sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010, aux cas d'extinction du motif d'inscription au fichier des personnes recherchées. ". Enfin, l'article 7 du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées modifié précise que : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas d'aboutissement de la recherche ou d'extinction du motif de l'inscription. Les données enregistrées au titre du 5° du IV de l'article 2 sont effacées, au plus tard, trois ans après la date à laquelle l'obligation de quitter le territoire français a été signée. / La mise à jour des données enregistrées est réalisée, à l'initiative de l'autorité ayant demandé l'inscription au fichier ou, le cas échéant, du gestionnaire du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes et du gestionnaire du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes, par les services ayant procédé à l'enregistrement des données en application des dispositions de l'article 4... ".

5. Il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'administration de procéder sans délai à l'effacement du signalement aux fins de non-admission de M. A... dans le système d'information Schengen. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de prendre, sans délai, toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. A... dans le système d'information Schengen procédant de la décision portant interdiction de retour, qui a été annulée au point 3.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

6. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : "Dans les cas d'urgence [...] l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut également être accordée lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie de l'intéressé, notamment en cas d'exécution forcée emportant saisie de biens ou expulsion. L'aide juridictionnelle est attribuée de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d'urgence dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat... ". Aux termes de l'article 61 du décret du 28 décembre 2020 pris pour l'application de ces dispositions : " (...) / L'admission provisoire est accordée par le président du bureau ou de la section ou le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué ".

7. Le requérant ne justifie ni avoir déposé de demande d'aide juridictionnelle, ni qu'il remplirait l'une des conditions énoncées au point précédent. Dès lors, il n'y a pas lieu d'admettre M. A..., qui est déjà représenté par un avocat, au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, sur le fondement de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 4 du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Nice n° 2102177 du 22 avril 2021 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 19 avril 2021 portant obligation de quitter le territoire sans délai et interdiction de retour sur le territoire d'une durée de deux ans est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de prendre, sans délai, toute mesure propre à mettre fin au signalement de M. A... dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour du 19 avril 2021 annulée à l'article 2.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de la requête d'appel est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2022, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thiele, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 octobre 2022.

2

N° 21MA02018


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02018
Date de la décision : 10/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : RAISSI-FERNANDEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-10-10;21ma02018 ?
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