(3ème Chambre)
VU I) le recours, enregistré au greffe de la cour le 7 août 1996 sous le n 96PA02608, présenté par le MINISTRE DELEGUE A LA POSTE, AUX TELE-COMMUNICATIONS ET A L'ESPACE qui demande à la cour d'annuler le jugement en date du 5 juillet 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du MINISTRE DE L'INDUSTRIE, DES POSTES ET TELECOM-MUNICATIONS ET DU COMMERCE EXTERIEUR en date du 3 juin 1994 fixant les conditions financières dans lesquelles la Société française de radiotéléphone (SFR) pouvait bénéficier d'une interconnexion au réseau de France Télécom ;
VU II) la requête, enregistrée au greffe de la cour le 6 septembre 1996 sous le n 96PA02615, présentée pour la SOCIETE FRANCAISE DE RADIO-TELEPHONE (SFR) par le cabinet JEANTET et associés, avocat ; la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE demande à la cour d'annuler le jugement en date du 5 juillet 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur en date du 3 juin 1994 fixant les conditions financières dans lesquelles la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE pouvait bénéficier d'une interconnexion au réseau de France Télécom ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 octobre 1998 :
- le rapport de M. SIMONI, président de chambre,
- les observations de Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour France Télécom et celles de Me Y..., avocat, pour la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que le recours présenté par le MINISTRE DELEGUE A LA POSTE, AUX TELECOMMUNICATIONS ET A L'ESPACE, enregistré sous le n 96PA02608, et la requête présentée par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE, enregistrée sous le n 96PA02615, sont dirigés contre le même jugement du tribunal administratif de Paris ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.32-1 du code des postes et télécommunications : "Dans l'exercice des attributions qui lui sont conférées par le présent titre, le ministre chargé des télécommunications veille : 1 A ce que soient assurées de façon indépendante les fonctions de réglementation des activités relevant du secteur des télécommunications et les fonctions d'exploitation de réseaux ou de fourniture de services de télécommunications ; 2 ) A ce que la fourniture des services qui ne sont pas confiés exclusivement à l'exploitant public s'effectue dans les conditions d'une concurrence loyale, notamment entre l'exploitant public et les autres fournisseurs de services ; 3 ) A ce que soit respecté, par l'exploitant public et les fournisseurs de services de télécommunications, le principe d'égalité de traitement des usagers, quel que soit le contenu du message transmis ; 4 ) A ce que l'accès au réseau public soit assuré dans des conditions objectives, transparentes et non discrimi-natoires" ; que l'article L.33-1-I du même code dispose que "L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public sont autorisés par le ministre chargé des télécommunications ... L'autorisation est soumise à l'application des règles contenues dans un cahier des charges et portant sur : ... i) les conditions d'interconnexion et, le cas échéant, le principe du paiement de charges d'accès au réseau public" ; qu'aux termes de l'article 11 du cahier des charges de France Télécom annexé au décret susvisé du 29 décembre 1990 : "En cas d'interconnexion d'un exploitant de réseau, France Télécom est fondé à demander des droits d'accès tenant compte : - des contraintes tarifaires et de desserte géographique qui ne sont pas couvertes par la rémunération assurée, pour l'usage du réseau, par le tarif de droit commun ; - du coût des modifications d'installations qui sont rendues nécessaires par l'interconnexion. Ces droits d'accès sont négociés entre France Télécom et le demandeur et portés à la connaissance du ministre chargé des postes et télécommunications. En l'absence d'accord, chacune des deux parties peut saisir le ministre, qui peut alors fixer ces droits en tenant compte de la réalité des coûts" ; qu'ainsi, le législateur ayant entendu, sous le régime institué par la loi du 29 décembre 1990 dont sont issues les rédactions ci-dessus des articles L.32-1 et L.33-1-I du code des postes et télécommunications, confier à l'Etat une mission générale de régulation des relations s'établissant entre l'exploitant public et les bénéficiaires d'autorisations d'interconnexions, le ministre tenait des textes précités le pouvoir de fixer les droits d'accès qu'en qualité d'exploitant autorisé d'un réseau interconnecté, la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE devait acquitter au profit de France Télécom ; qu'il résulte du contenu même de la convention en date du 24 juin 1991 liant France Télécom à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE et déterminant notamment les conditions commerciales et financières de l'interconnexion, que les parties avaient d'un commun accord entendu donner au paiement des droits d'accès dus par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE la forme de conditions tarifaires adaptées ; que, pour cette raison, la décision du ministre en date du 3 juin 1994, reprenant les diverses rubriques de la convention, fixe pour les prestations concernées, les tarifs applicables à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE ; que c'est, en conséquence, à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal
administratif de Paris s'est fondé, pour annuler la décision précitée, sur le motif qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'habilitait le ministre à prendre une telle décision ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens soumis par France Télécom tant à la cour qu'au tribunal administratif ;
Considérant, en premier lieu, que France Télécom soutient que la procédure prévue à l'article 11 du cahier des charges annexé au décret du 29 décembre 1990 ne permettait, en tout état de cause, pas au ministre de fixer le tarif de l'usage par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE des liaisons spécialisées, dans la mesure où un tel tarif ne relèverait que des modalités de fixation mentionnées à l'article 33 du même cahier des charges ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les droits d'accès dus par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIO-TELEPHONE, ayant pris la forme de conditions tarifaires adaptées, le ministre, reprenant la rubrique correspondante de la convention, a été conduit, dans le cadre de son pouvoir de fixation des droits d'accès, à arrêter le tarif applicable à la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE pour l'usage des lignes spécialisées ; que si les dispositions de l'article 33 du cahier des charges de France Télécom définissent, pour certains des services assurés par cette entreprise, les modalités de détermination de tarifs généraux applicables à l'ensemble des usagers, elles ne font nullement obstacle à ce que le ministre arrête, par application de l'article 11 précité, le tarif de l'usage des mêmes services par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE ; que l'exploitant d'un réseau lié à France Télécom par une convention d'interconnexion se trouvant dans une situation différente de celle des autres usagers, le ministre a, en outre, pu fixer pour les mêmes services, des tarifs propres à cet exploitant sans porter atteinte au principe d'égalité des usagers devant le service public ;
Considérant, en second lieu, que la SOCIETE FRANCAISE DE RADIO-TELEPHONE a saisi le ministre chargé des télécommunications d'une demande de fixation des droits d'accès par lettre en date du 16 mars 1994 ; qu'il n'est pas contesté qu'à cette date les négociations engagées entre France Télécom et la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE pour la mise au point de nouvelles conditions financières n'avaient pas abouti ; qu'en conséquence, la situation de désaccord à laquelle l'article 11 du cahier des charges de France Télécom subordonne seule la possibilité pour l'une des parties à la convention d'interconnexion d'adresser une demande au ministre, existait ; que, par suite, et nonobstant la circonstance invoquée par France Télécom selon laquelle les parties avaient fixé la date limite de leurs négociations au 1er juillet 1994 et avaient convenu qu'au-delà, faute d'accord, les tarifs prévus dans la convention seraient prorogés, la saisine du ministre par la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE n'était pas prématurée ;
Considérant, en troisième lieu, que si la lettre du 16 mars 1994 par laquelle la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE a saisi le ministre n'a pas elle-même été communiquée à France Télécom, il résulte de l'instruction, d'une part, que cette lettre ne contenait aucun élément dont l'opérateur public n'aurait pas eu connaissance et, d'autre part, que celui-ci, informé dès le 25 mars de la démarche de la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE, a été invité, en vue de la préparation de la décision du ministre, à répondre à un questionnaire sur ses tarifs et à participer le 5 mai à une réunion à la suite de laquelle il a d'ailleurs adressé une note à l'administration ; qu'il a enfin reçu communication, avant l'intervention de la décision attaquée, des observations faites à l'administration par le cabinet spécialisé que celle-ci avait parallèlement consulté ; que, par suite, et à supposer que le ministre ait eu en l'espèce l'obligation d'observer une procédure contradictoire, le moyen tiré par France Télécom de ce qu'une telle procédure n'aurait pas été respectée, manque en fait ;
Considérant, en quatrième lieu, que France Télécom conteste le bien-fondé de la décision du ministre tant en ce qui concerne la fixation des tarifs d'usage des liaisons spécialisées que la rémunération dite pour "peines et soins" ; que si, s'agissant du premier point, France Télécom fait état de ce que l'administration aurait estimé les coûts moyens à partir d'un "panier" de liaisons spécialisées qui, dans le contexte où il a été utilisé, n'aurait pas été représentatif, il résulte de l'instruction, d'une part, que les tarifs retenus par le ministre ont été arrêtés à partir de données fournies par France Télécom et après consultation d'un cabinet spécialisé dont les observations ont, pour leur plus grande partie, été prises en considération et, d'autre part, que l'opérateur public n'a versé au dossier aucun élément comptable probant susceptible d'être substitué pour la période envisagée aux données mises en oeuvre par l'administration ; que France Télécom n'apporte pas la preuve de ce qu'en fixant pour chaque société à 9 % des sommes dues à l'autre, la rémunération pour "peines et soins" représentative de frais de gestion, le ministre n'aurait pas instauré une réelle symétrie mais aurait méconnu à son détriment la réalité des situations de chacun des deux opérateurs ; qu'en conséquence, France Télécom ne démontre pas que les tarifs fixés par le ministre chargé des télécommunications dans sa décision du 3 juin 1994 seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant, enfin, que la décision attaquée, intervenue le 3 juin 1994 et dont la motivation est suffisante, fixe son entrée en vigueur au 16 mars 1994, date à laquelle la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE a saisi le ministre de sa demande de détermination des droits d'accès ; qu'une telle décision, qui exerce ses effets tant à l'égard de France Télécom que de la SOCIETE FRANCAISE DE RADIO-TELEPHONE, ne pouvait recevoir d'application qu'à compter de la date de son intervention ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'en prononcer l'annulation en tant qu'elle prévoit une date d'entrée en vigueur antérieure au 3 juin 1994 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DELEGUE A LA POSTE, AUX TELECOMMUNICATIONS ET A L'ESPACE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé dans toutes ses dispositions la décision du MINISTRE DE L'INDUSTRIE, DES POSTES ET TELECOMMUNICATIONS ET DU COMMERCE EXTERIEUR en date du 3 juin 1994 fixant les conditions financières dans lesquelles la SOCIETE FRANCAISE DE RADIOTELEPHONE pouvait bénéficier d'une interconnexion au réseau de France Télécom ; que cette décision ne doit être annulée qu'en tant qu'elle prévoit une date d'entrée en vigueur antérieure au 3 juin 1994 ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 5 juillet 1996 est annulé.
Article 2 : La décision du MINISTRE DE L'INDUSTRIE, DES POSTES ET TELECOMMUNICATIONS ET DU COMMERCE EXTERIEUR en date du 3 juin 1994 est annulée en tant qu'elle prévoit que son entrée en vigueur s'effectuera antérieurement à cette date.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées devant le tribunal administratif de Paris par France Télécom est rejeté.