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06/07/2023 | FRANCE | N°22PA03304

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 06 juillet 2023, 22PA03304


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Haddadi Frères a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 10 décembre 2020 par laquelle l'établissement public territorial Plaine Commune a exercé son droit de préemption sur un lot à usage commercial sis 63 à 71 rue de la République et 16 rue Catulienne à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cette décision.

Par un jugement n° 2106072 du 16 juin 2022, le tribun

al administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Haddadi Frères a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 10 décembre 2020 par laquelle l'établissement public territorial Plaine Commune a exercé son droit de préemption sur un lot à usage commercial sis 63 à 71 rue de la République et 16 rue Catulienne à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cette décision.

Par un jugement n° 2106072 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 19 juillet 2022 et le 10 janvier 2023, la société à responsabilité limitée Haddadi Frères, représentée par Me Guillini, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2106072 du 16 juin 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision du 10 décembre 2020 et la décision implicite rejetant son recours gracieux contre cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement public territorial Plaine Commune le paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le principe du contradictoire a été méconnu en ce qu'elle a disposé d'un délai insuffisant entre la communication du mémoire en défense adverse le 18 octobre 2021 pour lequel il lui était seulement demandé de présenter des observations " aussi rapidement que possible " et la clôture immédiate de l'instruction prononcée le 25 octobre suivant ;

- les premiers juges auraient dû communiquer le mémoire en réplique qu'elle a produit le

9 décembre 2021 et procéder à la réouverture de l'instruction dès lors que ce mémoire contenait des éléments nouveaux dont elle n'était pas en mesure de se prévaloir auparavant ;

- le jugement n'a pas explicitement répondu au moyen tiré du défaut de motivation de la décision ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- l'auteur de la décision était incompétent pour la prendre dès lors qu'il disposait d'une délégation de compétence permanente alors que le conseil de territoire du 16 juillet 2020 n'avait autorisé son président à déléguer l'exercice du droit de préemption qu'à l'occasion de l'aliénation d'un bien, ainsi que le prévoient d'ailleurs les dispositions de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales ;

- l'avis du service des Domaines, établi sur la base d'un dossier incomplet, est ainsi irrégulier ;

- le délai de validité de la préemption était expiré dès lors que le supplément d'information sollicité par l'établissement public territorial, qui n'était pas nécessaire, n'a pu, dans ces conditions, suspendre le délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée ;

- la décision est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle ne saurait avoir pour objet de permettre la restructuration du local commercial en vue de requalifier l'espace public et d'améliorer l'attractivité commerciale du centre-ville ;

- la préemption est entachée de détournement de pouvoir.

Par des mémoires en défense enregistré le 7 septembre 2022 et le 20 janvier 2023, l'établissement public territorial Plaine Commune, représenté par Me Lherminier, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à la mise à la charge de la société à responsabilité limitée Haddadi Frères le paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La requête a été communiquée à la société en nom collectif Coresi qui n'a pas produit d'observations.

Un mémoire additionnel a été produit pour la société à responsabilité limitée Haddadi Frères le 6 mars 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction prononcée au 25 janvier 2023 par une ordonnance du 10 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gobeill,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Gatel, substituant Me Guillini, représentant la société à responsabilité limitée Haddadi Frères,

- et les observations de Me Baron, substituant Me Lherminier, représentant l'établissement public territorial Plaine Commune.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 10 décembre 2020, l'établissement public territorial Plaine Commune a exercé son droit de préemption sur un lot à usage commercial sis 63 à 71 rue de la République et 16 rue Catulienne à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). La société à responsabilité limitée Haddadi Frères, acquéreur évincé, a introduit contre cette décision un recours gracieux le

8 février 2021, rejeté par une décision implicite. Elle a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler ces deux décisions. Elle relève appel du jugement du 16 juin 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, Il ressort des pièces du dossier que la requête a été introduite le 5 mai 2021, que le premier mémoire en défense de l'établissement public territorial du 9 juillet 2021 a été communiqué le 16 juillet 2021 avec un délai de réponse de 30 jours, qu'un courrier a été envoyé aux parties le 10 septembre 2021 les informant qu'une clôture immédiate de l'instruction était susceptible d'intervenir à compter du 27 septembre 2021, que la société Haddadi Frères a produit un mémoire en réplique le 20 septembre 2021, qu'une première clôture immédiate de l'instruction a été prise le 11 octobre 2021 suivie d'un courrier du même jour invitant à ne pas en tenir compte, qu'un mémoire de l'établissement public territorial a été communiqué le 18 octobre 2021 invitant les parties à produire des observations " dans les meilleurs délais " et qu'une clôture immédiate de l'instruction a été prise le 25 octobre avant que la société requérante ne produise un mémoire le 9 décembre 2021 qui n'a pas été communiqué.

3. La société soutient que la procédure suivie par les premiers juges est entachée d'irrégularité en ce qu'elle a disposé d'un délai insuffisant entre la communication du mémoire en défense adverse le 18 octobre 2021 et la clôture immédiate de l'instruction prononcée le 25 octobre suivant et en ce que les premiers juges auraient dû communiquer le mémoire en réplique qu'elle a produit le 9 décembre 2021 et procéder à la réouverture de l'instruction.

4. La circonstance que les premiers juges lui ont communiqué le mémoire de l'établissement public territorial du 18 octobre 2021, lequel contenait la délibération du 16 juillet 2020 par laquelle le conseil de territoire de cet établissement public avait délégué à son président l'exercice du droit de préemption, avec pour seul délai de réponse la mention " dans les meilleurs délais ", n'est pas de nature à entacher la procédure suivie d'irrégularité dès lors qu'en l'espèce, la société requérante était informée qu'une clôture d'instruction était susceptible d'intervenir à compter du 27 septembre 2021, qu'elle a disposé d'un délai, suffisant, de cinq jours pour présenter des observations en réponse à ce mémoire qui n'était pas le premier mémoire en défense et qu'elle n'a finalement répondu que le 9 décembre suivant, soit plus de deux mois après, sans avoir entre-temps appelé l'attention du tribunal, lequel n'était pas tenu, dans ces circonstance, de communiquer ce dernier mémoire et de procéder à une réouverture de l'instruction.

5. En second lieu, et contrairement à ce que soutient la société requérante, le jugement a, au point 15, explicitement relevé que la nature du projet apparait dans la décision contestée et il est ainsi suffisamment motivé.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme dans sa version alors en vigueur : " Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 211-2 du même code dans sa version alors en vigueur : " (...) la compétence (...) d'un établissement public territorial créé en application de l'article L. 5219-2 du code général des collectivités territoriales (...) en matière de plan local d'urbanisme, emporte [sa] compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain ". Et aux termes du premier alinéa de l'article R. 211-2 du même code : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département ".

7. Il ressort des pièces du dossier que par délibération n° CT-20/1459 du 25 février 2020, le conseil de territoire de l'établissement public territorial Plaine Commune a instauré un droit de préemption sur la totalité des zones urbaines et d'urbanisation future de la commune de Saint-Denis, notamment pour la mise en œuvre du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, cette délibération ayant été télétransmise au contrôle de légalité le 26 février 2020 et ayant fait l'objet d'un affichage au siège de l'établissement public territorial Plaine Commune pendant un mois à compter du 28 février 2020, ainsi que d'une publication dans deux journaux d'annonces légales diffusés dans le département.

8. D'autre part, aux termes de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales : " Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale. (...) Il est seul chargé de l'administration, mais il peut déléguer par arrêté, sous sa surveillance et sa responsabilité, l'exercice d'une partie de ses fonctions aux vice-présidents et, en l'absence ou en cas d'empêchement de ces derniers ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d'une délégation, à d'autres membres du bureau. Il peut également donner, sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature au directeur général des services, au directeur général adjoint des services, au directeur général des services techniques, au directeur des services techniques et aux responsables de service. La délégation de signature donnée au directeur général des services, au directeur général adjoint des services, au directeur général des services techniques, au directeur des services techniques et aux responsables de service peut être étendue aux attributions confiées par l'organe délibérant au président en application de l'article L. 5211-10, sauf si cet organe en a décidé autrement dans la délibération délégant ces attributions au président. Ces délégations subsistent tant qu'elles ne sont pas rapportées. (...) Le président de l'établissement public de coopération intercommunale peut, par délégation de son organe délibérant, être chargé d'exercer, au nom de l'établissement, les droits de préemption, ainsi que le droit de priorité, dont celui-ci est titulaire ou délégataire en application du code de l'urbanisme. Il peut également déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien, dans les conditions que fixe l'organe délibérant de l'établissement (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que par délibération n° CT-20/1525 du 16 juillet 2020, transmise au contrôle de légalité le 17 juillet 2020 et affichée pendant une période d'un mois à compter de cette même date, le conseil de territoire de l'établissement public territorial Plaine Commune a donné délégation de pouvoir au président de cet établissement pour " Exercer, au nom de l'établissement public territorial, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, soit en qualité de titulaire soit en qualité de délégataire, et déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues au premier alinéa de l'article L.213-3 de ce même code " et que par un arrêté n° 20/201 du 21 juillet 2020, transmis au contrôle de légalité le même jour et affiché pendant une période d'un mois à compter de cette même date, le président de l'établissement public territorial Plaine Commune a donné à M. A..., quatrième conseiller délégué de cet établissement, membre du bureau, délégation de fonctions dans le domaine " habitat-foncier " et délégation en vue de signer les actes et d'exercer au nom de l'établissement public territorial, le droit de préemption.

10. La société requérante soutient que la délégation consentie à M. A..., signataire de la décision attaquée, était trop générale et qu'une délégation particulière aurait dû lui être consentie à l'occasion de l'aliénation du bien en cause. La délibération du 21 juillet 2020, qui était en l'espèce suffisamment précise, n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales qui prévoient expressément que l'exercice du droit de préemption délégué au président de l'établissement public territorial peut être délégué par ce dernier sans imposer toutefois qu'une telle délégation soit exigée à l'occasion de l'exercice de chaque décision de préemption.

En ce qui concerne la consultation du service des Domaines :

11. Aux termes de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques. (...) L'avis du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques doit être formulé dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition ". La consultation du service des domaines préalablement à l'exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constitue une garantie tant pour ce dernier que pour l'auteur de la déclaration d'intention d'aliéner.

12. Il ressort des pièces du dossier que par un avis émis le 29 septembre 2020, le service des domaines de l'Etat a estimé la valeur vénale de l'ensemble immobilier préempté à hauteur de

220 000 euros. La société requérante fait valoir que cet avis a été rendu au regard d'un dossier incomplet au motif que des pièces complémentaires, versées le 13 novembre 2020 à la suite d'une demande en ce sens formulée par l'établissement public territorial Plaine Commune, n'ont pas été communiquées au service des domaines de l'Etat. Toutefois, outre qu'aucune disposition législative et réglementaire ne faisait obligation à l'autorité détentrice du droit de préemption de communiquer ces pièces au service des domaines de l'Etat, la société requérante ne précise pas en quoi, concrètement, ces pièces auraient été de nature à influer sur cet avis, alors au demeurant qu'il a été émis après une visite du bien sans qu'aucune demande complémentaire n'ait été formulée et qu'il mentionne explicitement que le dossier était " en l'état ".

En ce qui concerne le délai de la préemption :

13. La société requérante soutient que le délai de validité de la préemption était expiré dès lors que le supplément d'information sollicité par l'établissement public territorial n'était pas nécessaire et n'a pu, dans ces conditions, suspendre le délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme.

14. D'une part, aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : " (...) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / (...) La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien (...) ".

15. D'autre part, aux termes de l'article R. 213-7 du même code : " I.- Le silence gardé par le titulaire du droit de préemption dans le délai de deux mois qui lui est imparti par l'article L. 213-2 vaut renonciation à l'exercice de ce droit. (...) II. -Il est suspendu, en application de l'article L. 213-2, à compter de la réception par le propriétaire de la demande unique formée par le titulaire du droit de préemption en vue d'obtenir la communication de l'un ou de plusieurs des documents suivants : /1° Le dossier mentionné à l'article L. 271-4 du code de la construction et de l'habitation ; (...) /3° S'il y a lieu, le diagnostic technique prévu à l'article L. 111-6-2 du code de la construction et de l'habitation (...) ; /5° L'indication de la superficie des locaux prévue par l'article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et par l'article 4-1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 relatif à l'application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précitée ou, s'il existe, le mesurage effectué par un professionnel ; /6° Les extraits de l'avant-contrat de vente contenant les éléments significatifs relatifs à la consistance et l'état de l'immeuble ; /7° Sous réserve qu'ils soient mentionnés dans la déclaration prévue à l'article L. 213-2 : -la convention ou le bail constitutif de droits réels et, si elles existent, ses annexes, notamment les plans et état des lieux ; / -la convention ou le bail constitutif de droits personnels et, si elles existent, ses annexes, notamment les plans et état des lieux (...) ".

16. Il résulte de ces dispositions que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doivent savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois, éventuellement prorogé dans les conditions mentionnées ci-dessus, imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise. Dans le cas où le titulaire du droit de préemption décide de l'exercer, les mêmes dispositions, combinées avec celles des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, imposent que la décision de préemption soit exécutoire au terme du délai de deux mois, c'est-à-dire non seulement prise mais également notifiée au propriétaire intéressé et transmise au représentant de l'Etat. La réception de la décision par le propriétaire intéressé et le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois, à la suite respectivement de sa notification et de sa transmission, constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption.

17. Le délai de deux mois prévu à l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme ne peut être prorogé par une demande de précisions complémentaires que si la déclaration initiale était incomplète ou entachée d'une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou les conditions de son aliénation. Dans ce cas, le délai de deux mois - au-delà duquel le silence de l'administration vaut renonciation au droit de préemption - court à compter de la réception par l'administration d'une déclaration complétée ou rectifiée.

18. Il ressort des pièces du dossier que le notaire chargé de la transaction a adressé à l'administration la déclaration d'intention d'aliéner dressée à ce titre le 19 août 2020, et que par courrier du 9 octobre 2020 réceptionné par ce notaire le 12 octobre suivant, l'établissement public territorial Plaine Commune a sollicité la transmission des éléments prévus aux 1°, 3°, 5°, 6°, 7° et 8° du II de l'article R. 213-7 précité du code de l'urbanisme. La société requérante n'établissant pas, en se bornant à citer les documents demandés sans assortir ses affirmations de précisions, que la déclaration initiale était complète et que la demande de documents n'était pas nécessaire, cette dernière a eu pour effet de suspendre le délai de préemption. Celui-ci ayant recommencé à courir à compter du 13 novembre 2020, date de la réception des documents demandés, pour une durée inférieure à un mois, l'établissement public territorial Plaine Commune disposait, en application de l'article L. 213-2 précité, d'un mois à compter de cette date pour prendre et notifier sa décision. Il s'ensuit que l'acte attaqué, daté du 10 décembre 2020 et notifié le lendemain, l'a été antérieurement à l'expiration du délai imparti pour ce faire.

En ce qui concerne la motivation de la décision et la réalité du projet :

19. Aux termes des dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme dans leur version alors en vigueur : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 210-1 du même code dans leur version alors en vigueur : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ".

20. Il résulte des dispositions citées aux points précédents que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.

21. D'une part, la décision est prise au visa de l'étude pré-opérationnelle de mise en œuvre du périmètre du centre-ville de Saint-Denis requalifié dans le cadre du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) du 18 mars 2013, et mentionne que l'étude réalisée en janvier 2016 par le cabinet Objectif Ville sur l'élaboration d'un schéma directeur commercial sur le périmètre du centre-ville de Saint-Denis requalifié dans le cadre du PNRQAD préconise, sur le tronçon de la rue de la République où se trouvent les biens vendus, de développer une offre de destination permettant d'attirer et d'implanter des enseignes nationales ou des enseignes de destination liées à l'équipement de la personne, la culture, les loisirs ou une offre de prêt à manger qualitative, que Plaine Commune a engagé, dans le cadre du PNRQAD, une restructuration du centre-ville prévoyant notamment la restructuration de plusieurs locaux commerciaux et qu'il est nécessaire, dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, d'améliorer l'attractivité de la ville en la dotant d'éléments attractifs, ce qui nécessite de restructurer le local commercial dont s'agit, idéalement situé sur l'axe commercial principal et structurant de la ville. Cette décision, qui n'avait pas à mentionner d'élément plus précis sur le contenu de la restructuration dudit local, est ainsi suffisamment motivée.

22. D'autre part, outre que l'étude pré-opérationnelle de mise en œuvre du volet commercial du PNRQAD publiée en 2013 réalise un état des lieux de l'offre commerciale le long de la rue de la République, qualifiée d'axe commercial structurant, et détermine l'objectif de restructurer l'offre dans cette rue pour en faire un pôle de commerces de destination afin de conforter la vocation métropolitaine de la commune, le schéma directeur commercial de la Ville définit, au titre des orientations commerciales pour le centre-ville, celle de favoriser, notamment rue de la République, le développement de commerces de destination dans l'optique d'améliorer la qualité de l'offre existante. Enfin, le schéma directeur sectoriel " République " qui au demeurant envisage d'implanter une offre de " restauration assise qualitative " pour les locaux d'une surface de 60 à 250 mètres carrés, qualifie explicitement les locaux dont s'agit de locaux stratégiques. La circonstance que le local aurait été réhabilité en 2020 n'est pas de nature à remettre en cause la nécessité du projet. Il suit de là que l'établissement public territorial Plaine Commune justifiait de la réalité du projet.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

23. En dernier lieu, le protocole d'accord signé entre l'établissement public foncier d'Île-de-France, alors propriétaire du lieu, et la société à responsabilité limitée Haddadi Frères en 2010 par lequel cette dernière se voyait reconnaître un droit de préférence à l'achat ou à la location du local commercial dont s'agit, n'est pas de nature à établir qu'en prenant la décision contestée, l'établissement public territorial Plaine Commune, qui n'était nullement lié par ce contrat et pouvait légalement faire usage de son droit de préemption, aurait entaché sa décision de détournement de pouvoir.

24. Il résulte de tout ce qui précède que la société à responsabilité limitée Haddadi Frères n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

25. L'établissement public territorial Plaine Commune n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de la société à responsabilité limitée Haddadi Frères tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des dispositions précitées doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société à responsabilité limitée Haddadi frères le versement à l'établissement public territorial Plaine Commune d'une somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance.

D E C I D E :

Article 1er: La requête de la société à responsabilité limitée Haddadi Frères est rejetée.

Article 2 : La société à responsabilité limitée Haddadi Frères versera une somme de 1 500 euros à l'établissement public territorial Plaine Commune sur le fondement des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public territorial Plaine Commune, à la société à responsabilité limitée Haddadi Frères et à la société en nom collectif Coresi.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2023.

Le rapporteur, Le président,

J.-F. GOBEILL J. LAPOUZADE

La greffière

C. POVSE

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03304


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03304
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : SEBAN ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-07-06;22pa03304 ?
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