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17/10/2023 | FRANCE | N°21PA03925

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 17 octobre 2023, 21PA03925


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Multiservices - Tahiti Vidanges a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant à titre principal à l'annulation du marché de travaux conclu le 2 avril 2020 avec le groupement EPC et relatif aux travaux de protection des berges de rivières et de littoral de la côte ouest de l'île de Tahiti, dans les communes de Faa'a, Punaauia, Paea, Papara, et Teva i Uta.

Par un jugement n° 2000342 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a

rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Multiservices - Tahiti Vidanges a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant à titre principal à l'annulation du marché de travaux conclu le 2 avril 2020 avec le groupement EPC et relatif aux travaux de protection des berges de rivières et de littoral de la côte ouest de l'île de Tahiti, dans les communes de Faa'a, Punaauia, Paea, Papara, et Teva i Uta.

Par un jugement n° 2000342 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2021, la société Multiservices - Tahiti Vidanges, représentée par Me Nougaro, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 mai 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'enjoindre avant-dire droit à la Polynésie française de produire le mémoire technique contenu dans l'offre du groupement EPC ;

3°) d'annuler le marché mentionné ci-dessus du 2 avril 2020 ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 800 000 francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier faute de réponse aux moyens tirés de l'absence de définition de l'urgence et des sites à enjeu public ;

- le recours à un marché à bons de commande est irrégulier ;

- la procédure d'appel d'offres n'a nullement défini les besoins à satisfaire ;

-la Polynésie française a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence et a méconnu les principes d'égalité et d'impartialité des candidats devant la commande publique : en effet, l'administration a enlevé le sous-critère du stock d'enrochement disponible pour exécuter le marché ; la production de l'organigramme et des CV des cadres au titre d'un sous critère d'attribution fait à nouveau référence aux éléments sollicités lors de la sélection des candidatures ; le groupement EPC, alors qu'il est seul attributaire de marchés identiques depuis plusieurs années, a pu bénéficier d'informations qui lui ont permis de présenter une offre plus ciblée alors que les autres candidats étaient dans l'ignorance des informations nécessaires ;

- le marché est également irrégulier du fait de l'irrégularité de la méthode de notation mise en œuvre, notamment dans le choix des sous-critères d'évaluation de la valeur technique des offres, et de l'erreur manifeste d'appréciation dans la notation du critère de la valeur technique ;

- le marché a été signé le 2 avril 2020, antérieurement à la notification de la décision de rejet de son offre, la privant de pouvoir saisir utilement le juge du référé précontractuel ;

- le critère de l'intérêt général n'est pas de nature à maintenir le contrat qui doit être annulé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2022, la Polynésie française, représentée par Me Dubois, conclut au rejet de la requête et demande en outre qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Multiservice -Tahiti Vidanges.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable d'une part faute de production du marché attaqué, d'autre part faute de justification d'un intérêt lésé ;

- les moyens soulevés par la société Multiservices - Tahiti Vidanges sont infondés.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 9 août 2022, la société multiservices - Tahiti vidange maintient ses conclusions par les mêmes moyens et en soutenant en outre que les fins de non-recevoir opposées par la Polynésie française doivent être rejetées.

Par une ordonnance du 13 juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er septembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pagès ;

- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence du 4 septembre 2019, la Polynésie française a engagé une procédure d'appel d'offres en vue de la passation d'un marché à bons de commande relatif aux travaux de protection des berges de rivières et de littoral de la côte ouest de l'île de Tahiti, dans les communes de Faa'a, Punaauia, Paea, Papara et Teva i Uta. La Sarl Multiservices - Tahiti Vidanges et le groupement EPC (Chong On Yin / Interoute / Palacz) ont soumissionné au marché. Par courrier du 27 avril 2020, la société Multiservices - Tahiti Vidanges s'est vue notifier le rejet de son offre. Le groupement EPC a obtenu la note de 98,2/100, soit 39/40 au titre du critère de la valeur technique et 59,2/60 au titre du critère du prix, alors que la société requérante a obtenu la note de 94/100, soit 34/40 au titre du critère de la valeur technique et 60/60 au titre du critère du prix. Le marché a été signé le 2 avril 2020 entre la Polynésie française et le groupement EPC. La Sarl Multiservices - Tahiti Vidanges a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande tendant à titre principal à l'annulation de ce marché. Par un jugement du 11 mai 2021 dont la société multiservices - Tahiti Vidanges relève appel, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Sans qu'il soit besoin d'examiner sur les fins de non-recevoir opposées par la Polynésie française.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La société requérante soutient que le jugement attaqué est irrégulier faute de réponse aux moyens tirés de l'absence de définition de l'urgence et de l'absence de définition des sites à enjeu public. Toutefois, il ne s'agissait pas de moyens mais d'arguments au soutien du moyen tiré de l'absence de précision dans la définition des besoins à satisfaire, arguments auxquels les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit donc être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

4. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

5. Par ailleurs, aux termes de l'article LP 221-1 du code des marchés publics de la Polynésie française et de ses établissements publics : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d'un appel à la concurrence en prenant en compte, autant que faire se peut, des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Le ou les marchés conclus par l'acheteur public ont pour objet exclusif de répondre à ces besoins ". Aux termes de l'article LP 221-4 du même code : " I - L'acheteur public peut passer un marché sous la forme d'un marché à bons de commandes. /Un marché à bons de commande est un marché conclu avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande. / Dans ce marché, l'acheteur public a la faculté de prévoir un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, ou un minimum, ou un maximum, ou prévoir que le marché est conclu sans minimum ni maximum. /L'émission des bons de commande s'effectue sans négociation ni remise en concurrence préalable des titulaires, selon des modalités expressément prévues par le marché. / Les bons de commande sont des documents écrits adressés aux titulaires du marché. Ils précisent celles des prestations, décrites dans le marché, dont l'exécution est demandée et en déterminent la quantité. / II. - La durée des marchés à bons de commande ne peut dépasser quatre ans, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure à quatre ans. / L'émission des bons de commande ne peut intervenir que pendant la durée de validité du marché. Leur durée d'exécution est fixée conformément aux conditions habituelles d'exécution des prestations faisant l'objet du marché. L'acheteur public ne peut cependant retenir une date d'émission et une durée d'exécution de ces bons de commande telles que l'exécution des marchés se prolonge au-delà de la date limite de validité du marché dans des conditions qui méconnaissent l'obligation d'une remise en concurrence périodique des opérateurs économiques (...) ".

6. En premier lieu, la société requérante n'établit pas, qu'à le supposer même fondé, le vice dont serait entaché le choix d'un marché à bons de commande, constituerait un manquement aux règles applicables à la passation du contrat en lien direct avec l'intérêt lésé dont elle se prévaut ou un vice d'ordre public.

7. En deuxième lieu, il résulte du règlement de la consultation du marché que les critères d'attribution qui y sont définis sont fondés sur le prix et la valeur technique de l'offre. La valeur technique est appréciée au regard de quatre sous-critères, à savoir l'organigramme de l'entreprise et les CV des cadres, les matériels utilisés, la méthodologie d'exécution et les mesures relatives à la propreté du site. Ces critères et sous-critères sont justifiés par l'objet du marché. La circonstance que la collectivité publique n'ait pas choisi un sous-critère relatif au stock d'enrochement disponible des entreprises soumissionnaires ne caractérise pas, en l'espèce, une discrimination à l'égard de la société requérante, quand bien même ce critère avait été retenu dans le marché précédent ayant trait aux mêmes prestations. Par ailleurs, la société requérante n'établit pas, ainsi qu'elle l'allègue, que l'attributaire du marché a bénéficié d'informations dont les autres candidats auraient été indument privés, afin de mieux présenter son offre. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité doit donc être écarté dans toutes ses branches.

8. En troisième lieu, si la société requérante soutient que la procédure d'appel d'offres n'a nullement défini les besoins à satisfaire, au sens de l'article LP 221-1 du code des marchés publics de la Polynésie française et de ses établissements publics, et que la Polynésie française a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence, ces vices, à les supposer même établis, ne présentent en tout état de cause pas un caractère de particulière gravité de nature à justifier l'annulation du marché. De même, les moyens tirés de l'irrégularité de la méthode de notation mise en œuvre, notamment dans le choix des sous-critères, d'évaluation de la valeur technique des offres, et de l'erreur manifeste d'appréciation dans la notation du critère de la valeur technique, à supposer qu'ils puissent être retenus, ne permettent en tout état de cause pas d'établir que le contrat serait entaché d'un vice d'une particulière gravité de nature à entrainer son annulation.

9. En dernier lieu, l'obligation pour le pouvoir adjudicateur de respecter un délai de suspension entre la notification du rejet de l'offre d'un candidat et la signature du marché vise seulement à permettre aux candidats évincés de saisir utilement le juge du référé précontractuel. Par suite, le vice tenant au non-respect du délai de suspension invoqué par la société requérante n'affecte pas, en tout état de cause, la validité du contrat, et ne saurait, en conséquence, justifier son annulation.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'enjoindre avant-dire droit à la Polynésie française de produire le mémoire technique contenu dans l'offre du groupement EPC, que la société Multiservices -Tahiti Vidanges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L.761 - 1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

11. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Multiservices -Tahiti Vidanges une somme de 1 500 euros au titre du même article.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Multiservices -Tahiti Vidanges est rejetée.

Article 2 : La société Multiservices - Tahiti Vidanges versera la somme de 1 500 euros à la Polynésie française au titre de l'article L.761 - 1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Multiservices - Tahiti Vidanges et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Bonifacj, présidente de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.

Le rapporteur,

D. PAGESLa présidente,

J. BONIFACJ

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03925


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03925
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BONIFACJ
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : DUBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-10-17;21pa03925 ?
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