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20/11/2023 | FRANCE | N°22PA03437

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 20 novembre 2023, 22PA03437


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 5 août 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 2 du Val-de-Marne a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par jugement n° 1908982 du 20 mai 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Bichet, demande à la cour :

1°) d'annuler le

jugement n° 1908982 du 20 mai 2022 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 5 août 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 2 du Val-de-Marne a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par jugement n° 1908982 du 20 mai 2022, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2022, M. A..., représenté par Me Bichet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1908982 du 20 mai 2022 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler la décision du 5 août 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé faute de justifier la neutralisation de motif à laquelle se sont livrés les premiers juges ;

- le jugement est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation ;

- la décision du 5 août 2019 est insuffisamment motivée ;

- la décision contestée ne pouvait annuler la décision implicite de rejet du recours gracieux de son employeur, qui était pour lui créatrice de droits, intervenue à une date qui n'a pas été portée à sa connaissance, pas plus que la prolongation des délais mentionnée dans la décision ;

- la décision implicite de rejet n'est pas mentionnée dans la décision attaquée de sorte qu'il lui est impossible de connaitre la date de cette décision implicite ;

- il n'a jamais été informé de la prorogation du délai de recours ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie dès lors qu'il n'était pas en situation d'absences injustifiées mais en crédit d'heures de délégation syndicale et que pendant le congé de formation, les absences reprochées correspondent à des arrêts maladie ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier une autorisation de licenciement pour faute grave ;

- il y a un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice de son mandat, que révèlent tant l'annulation d'une précédente autorisation que les conditions d'exercice de ses fonctions d'opérateur de sécurité définies par son employeur depuis sa réintégration, ainsi que la condamnation de son employeur pour discrimination syndicale prononcée en sa faveur par le conseil des prud'hommes.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 septembre 2022, la société ICTS France, représentée par Me Verdier, conclut au rejet de la requête et à ce que M. A... soit condamné à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

La requête a été transmise au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par courrier du 11 mars 2019, la société ICTS France a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. A..., recruté en contrat à durée indéterminée le 15 novembre 2005, et qui exerçait en dernier lieu les fonctions d'opérateur de sûreté sur le site d'Orly. Il était, à la date de la demande, représentant de la section syndicale au sein de l'établissement d'Orly. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé sur cette demande par l'inspecteur du travail, décision contre laquelle la société ICTS France a formé un recours gracieux le 3 juin 2019, réceptionné le 4 juin 2019. Par décision du 5 août 2019, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 2 du Val-de-Marne a autorisé le licenciement de M. A... pour faute grave. Par jugement n°1908982 du 20 mai 2022, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il ressort, en particulier des points 12 et 15 du jugement attaqué, que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que les dépassements du crédit d'heures de délégation par M. A... constituaient à eux seuls une faute suffisamment grave pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée. Par suite, le tribunal administratif, contrairement à ce que soutient M. A..., a suffisamment motivé son jugement. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué pour ce motif ne peut donc qu'être écarté.

4. D'autre part, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. A... ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir pour contester la régularité du jugement attaqué, de ce qu'il serait entaché d'erreurs manifestes d'appréciation.

Sur la légalité de la décision du 5 août 2019 de l'inspectrice du travail :

5. En premier lieu, M. A... soulève un moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 5 août 2019 de l'inspectrice du travail. Toutefois, il n'apporte à l'appui de ce moyen, déjà soulevé devant le tribunal administratif de Melun, aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l'appréciation portée à juste titre par les premiers juges. Il y a dès lors lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par ces derniers au point 6 du jugement attaqué.

6. En deuxième lieu, les circonstances que la date de la décision implicite de rejet n'ait pas été mentionnée dans la décision attaquée, de sorte qu'il ne sait pas quand cette décision est née et que M. A..., n'ait pas été informé de la prorogation du délai de recours sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée du 5 août 2019.

7. En troisième lieu, la demande d'autorisation de licenciement ayant été reçue par l'inspectrice du travail le 13 mars 2019, une décision implicite de rejet est donc née le 13 mai 2019. En application des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'inspectrice du travail disposait d'un délai de quatre mois pour retirer sa décision implicite créatrice de droit, soit jusqu'au 13 septembre 2019. La décision du 5 août 2019 est donc valablement intervenue dans le délai de retrait. M. A... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que la décision contestée ne pouvait, pour ce motif, annuler une décision implicite de rejet qui était pour lui créatrice de droits.

En ce qui concerne la matérialité des faits et leur gravité :

8. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

9. D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 2142-1-3 du code du travail : " Chaque représentant de la section syndicale dispose d'un temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions. Ce temps est au moins égal à quatre heures par mois. Les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un représentant de section syndicale dispose d'un crédit d'heures de délégation mensuel d'une durée minimale de quatre heures pouvant être dépassé uniquement en cas de circonstances exceptionnelles.

10. La société ICTS France soutient que M. A... a dépassé à plusieurs reprises son quota de quatre heures de délégation notamment au cours des mois de décembre 2018 et de janvier et février 2019 correspondant respectivement à 22,5 heures, 4 heures et 6 heures 30 soit un total de 33 heures sans fournir de justification alors même qu'elle lui avait notifié un avertissement le 25 octobre 2018 pour les mêmes motifs s'agissant des mois d'août et de septembre 2018. Si M. A... soutient que ces 33 heures ont bien été utilisées dans le cadre de sa délégation, il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations permettant d'établir que les heures contestées précitées entraient bien dans le cadre de son crédit d'heures de délégation mensuel d'une durée de quatre heures ou que le dépassement de ce crédit serait justifié par des circonstances exceptionnelles. Par suite, les faits qui lui sont reprochés doivent être regardés comme établis et sont, eu égard à leur importance et à leur répétition, d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. A....

11. D'autre part, l'exécution d'un congé individuel de formation suspend l'exécution du contrat de travail et les obligations qui y sont attachées, à l'exception de l'obligation de loyauté. Le manquement du salarié, bénéficiaire d'un congé individuel de formation, à l'obligation qui lui incombe de suivre la formation dispensée ne constitue pas dans ses rapports avec son employeur une faute justifiant son licenciement, ni un manquement à son obligation de loyauté, mais un manquement à une obligation légale inhérente à l'exécution du congé, distincte de l'exécution du contrat de travail, assorti par la loi d'une sanction spécifique, à savoir la perte du bénéfice du congé lui-même. Le salarié qui bénéficie d'un congé individuel de formation est tenu de justifier de sa présence effective à cette formation à son employeur.

12. La société ICTS France soutient que M. A... n'a pas justifié de sa présence continue au cours de son congé individuel de formation du 4 octobre 2017 au 14 mai 2018. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé n'a fourni aucun justificatif concernant ses absences des 13, 19, 20 et 24 avril 2018 et des 2, 3 et 9 mai 2018 auprès de son employeur et de l'organisme de formation. S'il soutient qu'il était en arrêt maladie pendant lesdites absences, il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations permettant d'en justifier le bien-fondé. Néanmoins, cette absence de justification bien que fautive, n'est pas d'une gravité suffisante permettant de justifier légalement que soit autorisé le licenciement pour faute grave de M. A....

13. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'inspectrice du travail aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur la seule faute liée au non-respect par M. A... du crédit d'heures de délégation mensuel qui lui a été alloué en tant que représentant de section syndicale. Dès lors, le moyen tiré par M. A... de ce que les faits qui lui sont reprochés ne seraient pas d'une gravité suffisante pour justifier une autorisation de licenciement pour faute grave doit être écarté.

En ce qui concerne le lien avec le mandat exercé par M. A... :

14. La circonstance que M. A... a fait l'objet d'une autorisation de licenciement le 22 décembre 2011, annulée par la cour administrative de Versailles le 28 janvier 2014, n'est pas de nature à caractériser l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement présentée près de huit ans plus tard, et le mandat syndical exercé par l'intéressé. Si le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges a, dans son jugement du 6 novembre 2019, considéré que la société ICTS France avait fait preuve de résistances dans le processus de réintégration de M. A... et dans son affectation effective sur un poste en prenant en compte son appartenance au syndicat CFTC, caractérisant une discrimination syndicale, ces agissements se sont déroulés entre 2014 et 2016 et ne permettent pas, par eux-mêmes, de caractériser l'existence d'un lien entre le mandat syndical exercé par l'intéressé et l'autorisation de licenciement sollicitée par la société ICTS France le 11 mars 2019 pour des manquements objectifs et graves commis par l'intéressé. Les conditions d'exercice, par M. A..., de ses fonctions d'opérateur de sécurité définies par son employeur depuis sa réintégration n'apparaissent pas davantage caractériser l'existence d'un lien entre l'autorisation sollicitée et l'exercice par l'intéressé de son mandat. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail se serait méprise sur l'existence d'un lien entre l'autorisation de licenciement sollicitée et le mandat syndical qu'il exerçait au moment de la demande ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 août 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement.

Sur les frais d'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... une somme au profit de la société ICTS France sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société ICTS France, présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société ICTS France et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 novembre 2023.

La rapporteure,

A. COLLET La présidente,

A. MENASSEYRE

Le greffier,

P. TISSERANDLa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03437


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03437
Date de la décision : 20/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SELARLU BICHET AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-11-20;22pa03437 ?
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