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04/01/2022 | FRANCE | N°20VE02728

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 04 janvier 2022, 20VE02728


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Délices a demandé au tribunal administratif de Versailles, à titre principal, d'annuler la décision du 10 septembre 2018 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé de lui appliquer, d'une part, une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail d'un montant de 7 080 euros, d'autre part, une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du

code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile d'un montant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Délices a demandé au tribunal administratif de Versailles, à titre principal, d'annuler la décision du 10 septembre 2018 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé de lui appliquer, d'une part, une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail d'un montant de 7 080 euros, d'autre part, une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile d'un montant 2 309 euros, ainsi que la décision du 12 novembre 2018 par laquelle l'OFII a rejeté le recours gracieux qu'elle a formé contre cette décision, à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 10 septembre 2018 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé de lui appliquer, d'une part, une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail d'un montant de 7 080 euros, d'autre part, une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile d'un montant 2 309 euros, en tant qu'elle concerne la contribution forfaitaire, et de réduire la contribution spéciale mise à sa charge à la somme de 3 540 euros, et de mettre à la charge de l'OFII une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1900301 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 octobre 2020, la SARL Délices, représentée par Me Lévy, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions des 10 septembre 2018 et 12 novembre 2018 ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision mettant à sa charge la contribution forfaitaire et de réduire la contribution spéciale mise à sa charge à la somme de 3 540 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'OFII une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 10 septembre 2018 a été prise par une autorité incompétente, dès lors qu'il n'est pas justifié d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- la décision du 12 novembre 2018 est entachée de la même illégalité ; en outre, cette décision ne mentionne pas la raison pour laquelle le directeur de l'OFII aurait été empêché à la date à laquelle elle a été prise ;

- les décisions attaquées méconnaissent l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'elle n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale ;

- elles ont été prises au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que le principe du contradictoire a été méconnu ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le réacheminement du salarié dans son pays d'origine n'est pas établi ;

- sa bonne foi est établie, dès lors qu'elle a déclaré l'intéressé dès son recrutement en janvier 2016, qu'elle a effectué toutes les démarches tendant à ce qu'il obtienne un titre de séjour, et qu'elle a remis à celui-ci toutes ses fiches de paie ;

- la contribution spéciale aurait dû être réduite à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti.

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ablard,

- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 septembre 2017, la gendarmerie a procédé au contrôle d'identité de M. B... A..., ressortissant turc en situation irrégulière, lequel a déclaré travailler depuis janvier 2016 dans un restaurant à l'enseigne Istanbul, exploité par la SARL Délices. Par un courrier du 2 mai 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a informé la société requérante qu'elle était passible, à raison de cette infraction, des contributions prévues par l'article L. 8253-1 du code du travail et par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'a invitée à présenter ses observations dans un délai de quinze jours à compter de la réception dudit courrier. Par une décision du 10 septembre 2018, l'OFII a appliqué à l'intéressée la contribution spéciale, prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, à hauteur de 7 080 euros, et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à hauteur de 2 309 euros. Le recours gracieux formé par la SARL Délices contre cette décision a été rejeté le 12 novembre 2018. La SARL Délices relève appel du jugement du 24 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions susmentionnées des 10 septembre 2018 et 12 novembre 2018.

Sur la légalité des décisions attaquées :

2. En premier lieu, si la société requérante soutient que les décisions attaquées ont été prises par une autorité incompétente dès lors qu'il n'est pas justifié d'une délégation de signature régulièrement publiée, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 2 de leur décision. En outre, et contrairement aux affirmations de la requérante, la décision du 12 novembre 2018 n'avait pas à indiquer la raison pour laquelle le directeur de l'OFII aurait été empêché à la date à laquelle elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire des décisions attaquées doit être écarté.

3. En deuxième lieu, si la société requérante soutient, comme en première instance, que les décisions attaquées méconnaissent l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors qu'elle n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale au titre des faits reprochés, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 3 de leur décision.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l'article L. 8252-4 du même code, dans sa version alors en vigueur : " Les sommes dues à l'étranger non autorisé à travailler, dans les cas prévus aux 1° à 3° de l'article L. 8252-2, lui sont versées par l'employeur dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l'infraction ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article L. 5221-8 de ce code : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ". Aux termes de l'article R. 8253-2 de ce code : " I. -Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7./ III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-3 de ce code : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ". Aux termes de l'article R. 8252-6 de ce code : " L'employeur d'un étranger non autorisé à travailler s'acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l'article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l'article L. 8252-2. Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte. Il justifie, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales ". Enfin, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine (...) ".

5. La société requérante soutient que les décisions attaquées ont été prises au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que le principe du contradictoire a été méconnu. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 1, par un courrier du 2 mai 2018, l'OFII a informé la société requérante qu'elle était passible des contributions prévues par l'article L. 8253-1 du code du travail et par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'a invitée à présenter ses observations dans un délai de quinze jours à compter de la réception dudit courrier, ce qu'elle n'a pas fait. La société requérante n'a pas davantage demandé la communication du procès-verbal d'infraction établi par la gendarmerie, lequel n'avait pas à lui être communiqué spontanément par l'OFII. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.

6. En quatrième lieu, si la société requérante soutient que les décisions attaquées sont entachées d'une erreur de droit au regard des dispositions précitées de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que le réacheminement effectif du salarié dans son pays d'origine n'est pas établi, ce moyen doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 4 de leur décision.

7. En cinquième lieu, il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale ou la contribution forfaitaire prévues par les dispositions citées au point 4 de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient, également, de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant jusqu'au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d'en décharger l'employeur.

8. D'une part, il résulte de l'instruction, et en particulier du procès-verbal d'audition du salarié en situation irrégulière, établi le jour du contrôle, que celui-ci a déclaré travailler en qualité de cuisinier depuis janvier 2016 pour le restaurant à l'enseigne Istanbul, exploité par la SARL Délices. Ces déclarations ont été confirmées par le gérant de la société lors de son audition le 18 janvier 2018, lequel a par ailleurs déclaré qu'il " était courant qu'il n'avait pas de papiers parce que c'est mon cousin ". Dans ces conditions, la matérialité des faits reprochés étant établie, c'est sans commettre d'erreur que l'OFII a mis à la charge de la SARL Délices les contributions mentionnées au point 1. D'autre part, s'il est vrai que la société requérante a déclaré le salarié concerné dès son recrutement en janvier 2016, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est pas même allégué, que l'intéressée aurait versé à son salarié, dans le délai de trente jours à compter de la constatation de l'infraction, et en application des dispositions précitées de l'article L. 8252-4 du code du travail, l'indemnité forfaitaire prévue au 2° de l'article L. 8252-2 du même code, ainsi qu'un certificat de travail et le solde de tout compte. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur que l'OFII n'a pas réduit la contribution spéciale à un montant correspondant à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti, prévu au III de l'article R. 8253-2 précité du code du travail.

9. Enfin, et dès lors que les infractions prévues aux articles L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 8251-1 du code du travail sont constituées du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers en situation de séjour irrégulier et démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français, la société requérante ne peut utilement invoquer l'absence d'élément intentionnel ou encore sa prétendue bonne foi, ces circonstances étant sans incidence sur la matérialité de l'infraction et le montant des contributions mises à sa charge.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Délices n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la SARL Délices et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SARL Délices une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration dans la présente instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Délices est rejetée.

Article 2 : La SARL Délices versera à l'OFII la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'OFII au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

N° 20VE02728 3


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02728
Date de la décision : 04/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SELARL LEVY AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-01-04;20ve02728 ?
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