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05/11/1997 | FRANCE | N°96-83508

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 novembre 1997, 96-83508


REJET du pourvoi formé par :
- X... Joseph,
- Y... Rosalie, épouse X...,
- Me Z... Bernard, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL X...
Y...,
- Me Z... Bernard, agissant en qualité de mandataire liquidateur des époux X..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 1996, qui, sur renvoi après cassation, les a déboutés de leurs demandes dans la procédure engagée contre André A... pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable.
LA COUR,
Vu les mémoires produi

ts en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation...

REJET du pourvoi formé par :
- X... Joseph,
- Y... Rosalie, épouse X...,
- Me Z... Bernard, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL X...
Y...,
- Me Z... Bernard, agissant en qualité de mandataire liquidateur des époux X..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 1996, qui, sur renvoi après cassation, les a déboutés de leurs demandes dans la procédure engagée contre André A... pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 8 et 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'ordre des experts-comptables et comptables agréés et réglementant le titre de la profession d'expert-comptable et de comptable agréé, ensemble violation de l'article 433-17 du nouveau Code pénal, méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale et violation des articles 1315 et 1382 du Code civil, ensemble du principe de la réparation intégrale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a débouté les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes tendant à être indemnisées des conséquences dommageables de l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ;
" aux motifs que, le 18 juillet 1986, Joseph X..., gérant de la SARL X...
Y..., exploitant le supermarché Shopi au centre commercial de La Bouletterie à Saint-Nazaire déposait plainte à l'encontre de la société Promodes, dont il était le franchisé, faisant grief à celle-ci de s'être investie de la mission de la tenue complète de l'ensemble de la comptabilité de la société qu'il gérait, y compris l'établissement des bilans et comptes d'exploitation ; que cette plainte suivie d'une enquête était finalement classée sans suite par le parquet de Saint-Nazaire, l'infraction apparaissant insuffisamment caractérisée ; que, le 6 mai 1989, Joseph X... se constituait partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire pour ces mêmes faits, qu'il fondait notamment ses griefs sur l'expertise comptable effectuée par Antoine B..., expert-comptable, lequel avait relevé que la société Promodes avait, au cours des années 1984 et 1986, effectué des opérations relevant du monopole de l'expert-comptable, assurant en fait la tenue, la centralisation, l'ouverture, l'arrêt et la surveillance des comptabilités de la SARL X...
Y... ; que l'enquête établissait qu'au cours des années 1984 à 1986, la société Promodes, distributrice de produits alimentaires et non alimentaires à ses clients, le plus souvent franchisés, avait, par ailleurs, offert à ces derniers, et notamment à la SARL X...
Y..., supermarché Shopi à Saint-Nazaire, des prestations complémentaires, sous la forme de la tenue de la comptabilité de l'entreprise, mettant, pour ce faire, à la disposition du client son système informatique centralisé ; qu'André A..., à l'époque directeur général de la société Promodes, reconnaissait que cette dernière établissait, pour le compte de ses clients, des comptes de résultats mensuels et annuels, offrant, pour ce faire, le soutien technique de l'informatique et que cette faculté, non obligatoire pour les franchisés, avait été acceptée par Joseph X... ; qu'il ajoutait que, de la même manière, la société Promodes prenait en charge les déclarations fiscales, l'établissement des bulletins de salaire, les déclarations sociales et de TVA, sur la base des déclarations effectuées par les franchisés eux-mêmes ; qu'il précisait, enfin, que la société Promodes, en agissant ainsi, ne prenait aucun engagement quant à la sincérité et à la conformité de la comptabilité ainsi effectuée ; qu'en définitive, André A... reconnaissait que la société Promodes effectuait un certain nombre d'écritures comptables, comptes de résultat mensuels et annuels... mais, que ne s'engageant pas sur la sincérité et la véracité des écritures, il ne remplissait pas un travail d'expert-comptable, soumis aux exigences de l'ordonnance du 19 septembre 1945 assurant la protection de la profession d'expert-comptable ;
" et aux motifs centraux que, cependant, à la clôture de l'information, il est apparu que la société Promodes, en établissant des documents comptables, au vu des éléments fournis par le client, remplissait un travail d'expert-comptable, cette mission incombant, d'une manière à l'époque exclusive, à cette profession ; que, n'étant pas salarié mais bénéficiant d'une indépendance totale par rapport à la direction de la SARL X...
Y..., et ayant, d'une manière habituelle exécuté des travaux comptables, la société Promodes, prise en son représentant, avait effectué des actes ressortant du travail de l'expert-comptable, sans pour autant être membre de l'ordre des experts-comptables, et avait ainsi commis le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, le travail de traduction écrite et chiffrée des mouvements de comptabilité de la SARL X...
Y... par la société Promodes constituant, en l'espèce, un travail comptable, prérogative à l'époque exclusive à une profession protégée par les articles 2, 8 et 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 ; que, par ailleurs, ainsi que l'a rappelé la chambre criminelle de la Cour de Cassation, le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, s'il porte atteinte à l'intérêt général, peut également causer à des particuliers un préjudice personnel de nature à servir de fondement à une action civile devant la juridiction répressive ;
" et aux motifs encore qu'en l'espèce, contrairement aux affirmations des demandeurs, il ne ressort d'aucun élément objectif du dossier que les époux X..., fondateurs de la société franchisée, n'auraient pas reçu une information aussi exacte que possible sur la nature et l'étendue de leurs charges futures, compte tenu du risque inhérent à toute entreprise commerciale de cette nature, étant observé que le montage prévu n'a pas revêtu un caractère anormal, que les objectifs prévus ont été pratiquement atteints la première année, ce qui tend à démontrer qu'ils étaient réalisables et que la société Promodes avait autant d'intérêt que les demandeurs à la réussite de l'opération dont l'échec est de nature à nuire à sa crédibilité, à son image de marque, essentielle en ce domaine très concurrentiel de la distribution alimentaire ; qu'il n'est pas davantage démontré en quoi la société Promodes se serait comportée comme maître de l'affaire en ne laissant aucune liberté d'action à la société franchisée ; que, de la même façon, l'erreur commise dans le choix du régime social applicable aux époux X..., employés par la SARL X...
Y..., est imputable à celle-ci et non à la société Promodes, à l'égard de laquelle le dossier ne renferme aucune trace d'une décision ou même une suggestion de sa part sur ce point et qu'il s'avère enfin que la société Promodes, décelant après une année le caractère déficitaire de l'exploitation, n'est pas sortie de son rôle de franchiseuse en adressant à la SARL X...
Y... divers conseils et mises en garde dont celle-ci n'a pas cru devoir tenir compte, rendant ainsi elle-même inéluctable à terme le dépôt de son bilan après constatation de son état de cessation des paiements ; qu'ainsi, faute d'être parvenue à établir qu'un lien de causalité ait pu exister entre l'infraction et l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable et les préjudices allégués, les parties civiles ne peuvent qu'être déboutées de l'intégralité de leurs réclamations ;
" alors que, d'une part, ce n'était pas aux victimes d'un exercice illégal de la profession d'expert-comptable d'établir qu'elles n'auraient pas reçu une information aussi exacte que possible sur la nature et l'étendue de leurs charges futures compte tenu du risque inhérent à toute entreprise commerciale de la nature de celle exercée par les époux X..., mais à ou aux ayants droit de l'auteur du délit décédé, d'établir sous le contrôle du juge qu'en réalité les parties civiles avaient bien reçu de celui qui en fait exerçait de façon illicite une mission d'expert-comptable, une information pertinente et exacte avec l'indépendance et l'autorité requises ; qu'ainsi, la Cour, en statuant comme elle l'a fait, viole l'article 1315 du Code civil, ensemble les règles et principes qui gouvernent la charge de la preuve ;
" alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, pour caractériser un préjudice réparable en l'état d'un exercice illégal de la profession d'expert-comptable, il n'était nullement nécessaire pour les parties civiles de démontrer que la personne juridique civilement responsable du prévenu se serait comportée comme le maître de l'affaire en ne laissant aucune liberté d'action à la société franchisée, cependant que la vraie question était de savoir si la faute résultant de l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, sans l'indépendance et l'autonomie requises, avait causé un préjudice aux parties civiles ; qu'en statuant comme elle l'a fait, à partir d'une motivation tout à la fois générale et abstraite, la Cour viole de plus fort les textes et principes cités au moyen ;
" alors que, de troisième part, les éléments constitutifs du délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ayant été relevés, la Cour ne pouvait débouter les parties civiles de l'intégralité de leurs demandes tendant à la réparation des préjudices soufferts, sans préciser en quoi et pourquoi un tel délit l'action publique fût-elle éteinte ne pouvait être générateur d'un quelconque préjudice, cependant qu'il en impliquait un, sauf circonstances exceptionnelles nullement relevées, d'où une violation des textes et principes cités au moyen ;
" alors que, de quatrième part, il était demandé à la Cour de condamner à tout le moins les ayants droit de l'auteur d'actes d'exercice illicite de la profession d'expert-comptable à la restitution des honoraires remis au titre de l'activité illicite, honoraires chiffrés à 173 305 francs ; qu'à tout le moins, ladite somme était due au titre de la réparation des conséquences dommageables se rattachant à l'infraction sauf circonstances particulières nullement relevées par la Cour ; qu'en ne consacrant aucun motif à cet aspect de la démonstration du liquidateur (cf. spc. p. 9 du deuxième jeu de conclusions datées du 2 novembre 1995), la Cour méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" alors que, de plus, dans leurs écritures d'appel, les parties civiles faisaient valoir qu'en agissant comme il l'a fait, Philippe A... les a privées de l'assistance d'un expert-comptable, professionnel autonome et indépendant, qui aurait éclairé en toute conscience les époux X... et la SARL X...
Y... à l'occasion de la création et du fonctionnement de ladite société (cf. p. 41 des premières conclusions) ; qu'en ne consacrant aucun motif à ce moyen péremptoire, la Cour méconnaît ce que postule l'article 593 du Code de procédure pénale ;
" et alors, enfin, que, par le canal de conclusions saisissant valablement la Cour (premier jeu, cf. p. 5 et 7), les parties civiles faisaient spécialement valoir après avoir rappelé les missions que s'était réservé Philippe A... (cf. p. 5 et 6 desdites conclusions), que " la société Promodes s'assurait de la dépendance complète de la SARL X...
Y... non seulement pour lui imposer des prestations aussi inutiles qu'onéreuses, mais pour en contrôler la gestion pour lui permettre l'exécution d'engagements financiers aberrants ; et cette dépendance va être consacrée par la dépossession de la société X...
Y... de la tenue de sa comptabilité et de la confection des bilans par la société Promodes sous l'égide de Philippe A... ; qu'on sait que la comptabilité est l'instrument essentiel de décision de toute société commerciale ; que c'est donc ainsi que Philippe A... va se trouver investi par la société Promodes de l'établissement et de la tenue non seulement de la comptabilité de la SARL X...
Y..., mais de tous documents comptables aussi essentiels que l'établissement des bilans et des comptes de résultat, et ce, en même temps que la société Promodes assurait la gestion commerciale en se faisant remettre procuration sur les comptes bancaires de la SARL X...
Y..., qu'elle définissait et établissait les commandes, Joseph X... ne restant en fait qu'un simple exécutant entre les mains de la société Promodes, si bien que c'est dans le cadre de ce comportement de ladite société mis en évidence par le rapport de M. B... que se situent les faits délictueux reprochés à Philippe A... " ; qu'en ne consacrant aucun motif pertinent à ce moyen circonstancié pris dans son épure, la Cour, qui statue à partir de considérations générales et abstraites, méconnaît les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble ne met pas à même la Cour de Cassation d'exercer son contrôle au regard de ce que postule le principe de la réparation intégrale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que les époux X..., qui exploitaient une supérette en franchise, et le mandataire liquidateur de la SARL X...
Y... se sont constitués partie civile dans la procédure suivie contre André A..., pour exercice illégal de la profession d'expert-comptable, afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices nés de la tenue irrégulière de la comptabilité de la société franchisée, prestation illicitement assurée par le groupement franchiseur, que dirigeait le prévenu ;
Qu'après cassation d'un précédent arrêt ayant déclaré ces actions irrecevables, la juridiction de renvoi, prononçant sur la seule action civile à l'encontre des héritiers d'André A..., décédé, était saisie de conclusions des parties civiles le mandataire liquidateur intervenant, en outre, en qualité de liquidateur des biens personnels des époux X..., tendant à la réparation des préjudices " matériel, financier et commercial " nés, tant pour la société franchisée que pour leurs dirigeants, des fautes commises par le franchiseur, " véritable maître de l'opération ", dans la conception, la réalisation et le montage du projet commercial, et des erreurs provoquées par l'absence de contrôle d'un expert-comptable ; que les époux X... réclamaient, en outre, l'indemnisation du préjudice moral ayant résulté pour eux de l'ouverture de procédures collectives ;
Attendu que, pour débouter les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes, la juridiction du second degré, après avoir caractérisé les faits d'exercice illicite de la profession d'expert-comptable imputables à André A..., relève que la preuve n'est pas rapportée que ce dernier se soit comporté en maître de l'affaire, ni qu'il ait manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard des franchisés, lesquels, en se refusant à tenir compte des mises en garde qu'il leur avait adressées à l'issue d'une année déficitaire d'exploitation, ont rendu le dépôt de bilan de leur entreprise inéluctable ;
Que les juges ajoutent que l'erreur commise par la société franchisée dans le choix du régime social des époux X..., qu'elle salariait, ne saurait être imputée à André A..., dont la société n'a pris aucune part à cette décision ;
Qu'ils en déduisent qu'il n'existe aucun lien de causalité entre l'infraction reprochée et les préjudices allégués par les parties civiles ;
Qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte, en outre, que les frais perçus par la société franchiseur au titre des prestations comptables n'étaient pas dépourvus de contrepartie, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ne supposant pas, pour être constitué, un dommage causé à la clientèle, il appartient au particulier, qui allègue un préjudice personnel, d'apporter la preuve d'un lien de causalité direct entre l'infraction et le dommage dont il entend obtenir réparation ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est fondé en aucune de ses branches, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 96-83508
Date de la décision : 05/11/1997
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ACTION CIVILE - Recevabilité - Ordres professionnels - Experts-comptables et comptables agréés - Exercice illégal de la profession - Préjudice de la clientèle - Conditions.

Le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ne supposant pas, pour être constitué, un dommage causé à la clientèle, il appartient au particulier, qui allègue un préjudice personnel, d'apporter la preuve d'un lien de causalité direct entre l'infraction et le dommage dont il entend obtenir réparation. (1).


Références :

Ordonnance 45-2138 du 19 septembre 1945

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers (chambre correctionnelle), 16 janvier 1996

CONFER : (1°). (1) A comparer: Chambre criminelle, 1994-07-12, Bulletin criminel 1994, n° 275, p. 683 (cassation) ;

A rapprocher : Chambre criminelle, 1994-11-03, Bulletin criminel 1994, n° 345, p. 841 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 nov. 1997, pourvoi n°96-83508, Bull. crim. criminel 1997 N° 374 p. 1258
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 1997 N° 374 p. 1258

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Culié
Avocat général : Avocat général : M. de Gouttes.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Verdun.
Avocat(s) : Avocats : MM. Blondel, Odent.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1997:96.83508
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