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23/09/2020 | FRANCE | N°18-23867

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 septembre 2020, 18-23867


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 septembre 2020

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 460 F-D

Pourvoi n° Q 18-23.867

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 SEPTEMBRE 2020


1°/ la société Ubique, société par actions simplifiée,

2°/ la société Itaque, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux leur siège...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 septembre 2020

Cassation partielle

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 460 F-D

Pourvoi n° Q 18-23.867

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 SEPTEMBRE 2020

1°/ la société Ubique, société par actions simplifiée,

2°/ la société Itaque, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux leur siège [...] ,

3°/ la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. O... C..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Ubique,

4°/ la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. O... C..., en qualité de mandataire judiciaire de la société Itaque,

5°/ la société FBH, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. V... B..., en qualité d'administrateur judiciaire de la société Ubique,

6°/ la société FBH, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. V... B..., en qualité d'administrateur judiciaire de la société Itaque,

ont formé le pourvoi n° Q 18-23.867 contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre, section 2), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Evoliance, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Ubique services, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société Legras de Grandcourt, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société France informatique et technologie,

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat des sociétés Ubique et Itaque, et des sociétés BTSG et FBH, ès qualités, de Me Le Prado, avocat des sociétés Evoliance et Ubique services, de la SCP Richard, avocat de la société Legras de Grandcourt, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte aux sociétés FHB et BTSG de ce qu'elles reprennent l'instance en qualité respectivement d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire des sociétés Ubique et Itaque.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 septembre 2018), la société Evoliance a pour activité le financement d'équipements informatiques pour des sociétés de services et d'ingénierie en informatique. Le groupe Ubique, constitué de la société Ubique et de ses filiales, produit et commercialise des logiciels et des matériels destinés à la restauration commerciale.

3. Le 21 février 2013, un protocole d'accord a été conclu entre la société Evoliance et la société Ubique, agissant tant en son nom que pour le compte des filiales du groupe, pour définir les conditions de leur coopération future ainsi que le rôle de chacune des parties au sein d'une entité commune, dédiée au financement d'équipements et de solutions informatiques nécessaires à la mise en place des produits et services du groupe Ubique chez ses clients. La société Ubique services a ainsi été créée le 8 mars 2013, les sociétés Ubique et Evoliance détenant chacune 45 % de son capital.

4. Courant 2015, des difficultés sont apparues entre les sociétés Ubique services et Evoliance et le groupe, la société Ubique reprochant à la société Evoliance la longueur de la durée de traitement des dossiers de financement et celle-ci reprochant au groupe Ubique de fragiliser la trésorerie de la société Ubique services en ne lui réglant pas les montants qui lui étaient dus, notamment au titre des contrats de location souscrits par une filiale, la société Itaque, pour lesquels celle-ci avait bénéficié d'un préfinancement et au titre du solde des prêts consentis par la société Ubique services à deux filiales.

5. Les démarches amiables ayant échoué, la société Evoliance a assigné la société Ubique en résiliation judiciaire du protocole d'accord du 21 février 2013, pour manquements de celle-ci à ses obligations contractuelles, et en indemnisation. Elle a ensuite appelé en la cause la société Itaque.

6. Le 8 novembre 2018, les sociétés Ubique et Itaque ont été mises en redressement judiciaire, la société FHB étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la société BTSG en celle de mandataire judiciaire des deux sociétés.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

7. Les sociétés Evoliance et Ubique service contestent la recevabilité du pourvoi au motif que l'intervention de l'administrateur judiciaire, datée du 10 septembre 2019 et postérieure au dépôt du mémoire ampliatif, n'a pu régulariser la procédure.

8. Mais le pourvoi ayant été régulièrement formé le 26 octobre 2018 par les deux sociétés qui avaient alors qualité pour le faire avant d'être mises en redressement judiciaire le 8 novembre 2018, l'intervention des organes de la procédure collective, fût-ce hors du délai du dépôt du mémoire en demande, suffisait pour régulariser la procédure, dès lors que les sociétés disposaient d'un droit propre à contester leur passif.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Ubique et Itaque font grief à l'arrêt de, confirmant le rejet de toutes leurs demandes, prononcer la résiliation judiciaire du protocole d'accord du 21 février 2013 à leurs torts exclusifs, alors « que le juge ne peut procéder par voie de simple affirmation et sans aucune analyse, même sommaire, des éléments de preuve soumis à son appréciation ; qu'en l'espèce, les sociétés Ubique et Itaque soutenaient que la société Evoliance avait manqué à ses obligations contractuelles dans la gestion d'un important dossier Tutti Pizza, qui concernait une cinquantaine de franchisés ; qu'elles avaient fait valoir que, le groupe Ubique faisant signer les contrats de location aux clients puis les transférant à la société Ubique services, la société Evoliance avait fermé au mois d'août et refusé de transmettre les dossiers de financement, pour n'avertir la société Ubique qu'au mois d'octobre 2015 du refus de financement de ces dossiers par la société Siemens Lease, alors pourtant que la société Ubique services avait donné son accord pour ce financement ; qu'il en était notamment résulté pour la société Ubique, outre la perte de sa rémunération, la nécessité de reprendre elle-même tous les contrats de financement et de trouver un autre financeur ; que, pour justifier la certitude du refus opposé par la société Evoliance, les exposantes s'étaient fondées sur une pièce n° 6, présentant les échanges de courriels intervenus entre les parties ; que pour écarter les critiques des exposantes de ce chef, la cour a retenu que les inexécutions invoquées constituaient de simples affirmations des sociétés intimées, qui n'étaient assorties d'aucun élément de preuve ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir procédé à aucun examen, même sommaire, de cette pièce n° 6 soumise à son appréciation, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte tout jugement doit être motivé.

12. Pour prononcer la résiliation judiciaire du protocole aux seuls torts des sociétés Ubique et Itaque, l'arrêt écarte notamment tout manquement contractuel de la société Evoliance dans le traitement du dossier dit Tutti Pizza en retenant que les inexécutions alléguées sont de simples affirmations qui ne sont assorties d'aucun élément de preuve, avant de dire que le seul manquement établi à l'encontre de la société Evoliance dans la gestion de la société Ubique services, consistant en un prélèvement irrégulier, ne permet pas à lui seul de fonder une résiliation à ses torts ni de justifier l'inexécution par les sociétés Ubique et Itaque de leurs propres obligations.

13. En statuant ainsi, alors que les prétentions des sociétés Ubique et Itaque s'appuyaient expressément sur un échange de courriers électroniques constituant la pièce n° 6 régulièrement communiquée, de sorte que ces sociétés produisaient des éléments de preuve qui auraient pu être écartés en raison de leur caractère estimé non probant, mais non parce que ces éléments étaient inexistants, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

14. Les sociétés Ubique et Itaque font grief à l'arrêt de les condamner à verser différentes sommes à la société Evoliance, d'une part pour perte de rémunération supportée par elle à raison de la résiliation, d'autre part pour perte de valorisation des parts détenues par cette société à hauteur de 45 % du capital de la société Ubique services, alors :

« 1°/ que pour justifier la condamnation des sociétés Ubique et Itaque, in solidum, à verser à la société Evoliance la somme de 200 000 euros, à titre de dommages-intérêts pour perte de rémunération supportée à raison de la résiliation corrélative de la convention de conseil et de gestion administrative adossée au protocole du 21 février 2013, la cour a retenu qu'il était raisonnable de fixer ce préjudice à cette somme compte tenu des données figurant dans le rapport d'évaluation produit aux débats ; que, cependant, la cour, en "l'absence de tout autre élément crédible", a constaté que ce rapport reposait lui-même "sur des données incertaines", puisque les comptes de 2014 n'y avaient pas été arrêtés, que les comptes de 2015 n'y avaient pas été révisés et que ceux de 2016 n'y correspondaient qu'à un prévisionnel établi par la société Evoliance ; qu'en se fondant dès lors, pour fixer un préjudice, supposément certain, tiré de la perte de rémunération subie par la société Evoliance, sur les données d'un rapport d'évaluation dont elle a elle-même constaté qu'il reposait sur des données incertaines, c'est-à-dire non probantes, la cour a violé l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ;

2°/ que, pour justifier en outre la fixation du préjudice tiré de la perte de rémunération subie par la société Evoliance à la somme de 200 000 euros, la cour a fondé cette évaluation sur le fait que les parties étaient dans une "situation conflictuelle" ; qu'en se fondant sur une telle circonstance, inopérante, qui ne permettait aucun chiffrage du préjudice invoqué, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, du code civil :

15. Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages-intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

16. Pour condamner les sociétés Ubique et Itaque au paiement d'une certaine somme au titre de la perte de rémunération supportée par la société Evoliance en raison de la résiliation corrélative de la convention de conseil et de gestion administrative adossée au protocole du 21 février 2013, l'arrêt constate que le montant réclamé repose sur des données incertaines puisque le rapport d'évaluation produit se base sur des comptes annuels non arrêtés par les dirigeants pour l'exercice 2014 et des comptes non révisés pour l'exercice 2015, puis retient que compte tenu de ces données, de la situation conflictuelle entre les parties et de l'absence de tout autre élément crédible, il est raisonnable de fixer le montant du préjudice à 200 000 euros.

17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des éléments incertains et, s'agissant de l'existence du conflit, sur une circonstance inopérante, a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

18. Les sociétés Ubique et Itaque font le même grief à l'arrêt alors « que, pour justifier la condamnation de la société Ubique et de la société Itaque à payer à la société Evoliance une somme de 293 400 euros pour perte de valorisation des parts détenues par cette dernière à hauteur de 45 % du capital de la société Ubique services, la cour a retenu que cette somme était fondée sur une estimation que M. D... K... avait lui-même admis "n'être pas totalement irréaliste", ainsi qu'il résultait d'une "cote 8 du dossier de la société Evoliance" ; qu'en réalité la pièce n° 8, produite par les exposantes, était un courriel adressé par M. K... à M. R... ; que, dans ce courriel, loin de trouver réaliste l'estimation proposée par l'expert-comptable de M. R..., portant sur la valorisation des parts de la société Ubique services, entre 632 K et 681 K, M. K... indiquait : "Cette évaluation me semble être complètement irréaliste" ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, la cour a violé le principe qui interdit au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.

19. Pour condamner les sociétés Ubique et Itaque au paiement d'une certaine somme au titre de la perte de valorisation des parts détenues par la société Evoliance dans le capital de la société Ubique services, l'arrêt retient que la somme réclamée, 45 % d'une moyenne de 652 000 euros, est fondée sur une estimation que le directeur général de la société Ubique services, également dirigeant de la société Ubique, a lui-même admis "n'être pas totalement irréaliste".

20. En se déterminant ainsi, alors que l'auteur du courrier du 19 juillet 2016 avait écrit que cette évaluation lui semblait être complètement irréaliste, la cour d'appel, qui a dénaturé ce document, a violé le principe susvisé.
Demande de mise hors de cause

21. Sur sa demande, la société Legras de Grandcourt sera mise hors de cause, sa présence devant la cour de renvoi n'étant plus nécessaire à la solution du litige.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il prononce la résiliation judiciaire du protocole d'accord du 21 février 2013 aux torts exclusifs des sociétés Ubique et Itaque, condamne ces deux sociétés à payer à la société Evoliance les sommes de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de rémunération et de 293 400 euros pour perte de valorisation des parts détenues par elle dans le capital de la société Ubique services et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

MET hors de cause la société Legras de Grandcourt ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Evoliance aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Evoliance et la condamne à payer aux sociétés Itaque et Ubique la somme globale de 3 000 euros et la somme de 1 500 euros à la société Legras de Grandcourt ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour
les sociétés Ubique et Itaque, et les sociétés BTSG et FBH, ès qualités.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, confirmant le rejet de toutes les demandes des sociétés Ubique et Itaque, prononcé la résiliation judiciaire du protocole d'accord du 21 février 2013 à leurs torts exclusifs ;

AUX MOTIFS QUE les manquements des sociétés Ubique et Itaque aux obligations leur incombant aux termes du protocole litigieux sont établis ; que ces manquements contractuels ne sauraient être justifiés par des manquements imputables à la société Evoliance dont la gravité servirait de fondement à l'exception d'inexécution alléguée par les sociétés Ubique et Itaque, à l'appui de leur demande de confirmation du jugement entrepris ; qu'il n'est notamment pas démontré que la société Evoliance a été gravement défaillante dans la gestion des dossiers qui lui étaient confiés ; qu'aucun élément porté aux débats par chacune des parties ne permet d'affirmer que les erreurs commises dans le dossier Retex sont imputables à la société Evoliance, les sociétés Ubique et Itaque ne justifiant pas avoir informé cette société que le compte de la société Fit était bloqué et qu'au demeurant, l'auteur du virement réalisé sur ce compte était la société Evoliance elle-même ; que le courriel du 13 novembre 2014 sur lequel les sociétés Ubique et Itaque entendent asseoir leur démonstration comme constituant un aveu - voir cote 23 du dossier des parties intimées, ne peut constituer de ce point de vue une preuve tangible et irréfutable dès lors qu'il apparaît émaner de M. W... R..., dirigeant de la société Evoliance jusqu'au 28 mars 2014 puis gérant de la société Valons lui ayant à compter de cette date succédé dans cette présidence, par le biais d'une adresse courriel au sein du Groupe Ubique ([...]) ; que les inexécutions de la société Evoliance se rapportant au dossier Tutti Pizza, déniées par celle-là, sont de simples affirmations des sociétés intimées et ne sont quoi qu'il en soit, assorties d'aucun élément de preuve alors que la société Evoliance répond que les refus de financement s'expliquent par l'absence de communication de dossiers complets par le Groupe Ubique ;

1° ALORS QUE, pour justifier que le protocole du 21 février 2013, à supposer qu'il dût être résilié, ne pouvait l'être à leurs torts exclusifs, les sociétés Ubique et Itaque avaient fait valoir que la société Evoliance avait commis des fautes graves dans l'exécution de cette convention, notamment dans la gestion des dossiers ; qu'ainsi, elles avaient rappelé, à propos de matériel devant être loué à la société Relex par la société Ubique Services, que cette dernière devait payer le matériel sur présentation de facture et que la société Evoliance, disposant du droit de gérer le compte bancaire de la société Ubique Services, avait viré l'argent sur un compte bloqué, en dépit des avertissements de la société Ubique à ne pas l'utiliser, que cet argent n'avait jamais été restitué et que la société Retex s'était vu prélever des loyers alors même qu'elle ne disposait pas du matériel ; que, pour confirmer leurs dires, les sociétés Ubique et Itaque avait produit un courriel (13 novembre 2014) de M. R..., représentant la société Evoliance, qui indiquait explicitement : « je vous confirme que nous vous avons adressé par erreur un virement le 5 novembre 2014 » ; que, pour établir que ce courriel n'était pas une preuve « tangible et irréfutable », et écarter dès lors toute faute de la société Evoliance, la cour s'est bornée à retenir que ce courriel paraissait « émaner de M. W... R..., dirigeant de la société Evoliance jusqu'au 28 mars 2014 puis gérant de la société Valoris lui ayant à compter de cette date succédé dans cette présidence, par le biais d'une adresse courriel au sein du groupe Ubique » ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, impropres à priver de porter le courriel susvisé et, partant, la responsabilité reconnue de la société Evoliance, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ;

2° ALORS QUE le juge ne peut procéder par voie de simple affirmation et sans aucune analyse, même sommaire, des éléments de preuve soumis à son appréciation ; qu'en l'espèce, les sociétés Ubique et Itaque soutenaient que la société Evoliance avait manqué à ses obligations contractuelles dans la gestion d'un important dossier Tutti Pizza, qui concernait une cinquantaine de franchisés ; qu'elles avaient fait valoir que, le groupe Ubique faisant signer les contrats de location aux clients puis les transférant à la société Ubique Services, la société Evoliance avait fermé au mois d'août et refusé de transmettre les dossiers de financement, pour n'avertir la société Ubique qu'au mois d'octobre 2015 du refus de financement de ces dossiers par la société Siemens Lease, alors pourtant que la société Ubique Services avait donné son accord pour ce financement ; qu'il en était notamment résulté pour la société Ubique, outre la perte de sa rémunération, la nécessité de reprendre elle-même tous les contrats de financement et de trouver un autre financeur ; que, pour justifier la certitude du refus opposé par la société Evoliance, les exposantes s'étaient fondées sur une pièce n° 6, présentant les échanges de courriels intervenus entre les parties ; que pour écarter les critiques des exposantes de ce chef, la cour a retenu que les inexécutions invoquées constituaient de simples affirmations des sociétés intimées, qui n'étaient assorties d'aucun élément de preuve ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir procédé à aucun examen, même sommaire, de cette pièce n° 6 soumise à son appréciation, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, consécutivement au prononcé de la résiliation judiciaire du protocole d'accord du 21 février 2013, condamné les sociétés Ubique et Itaque à verser différentes sommes à la société Evoliance, d'une part pour perte de rémunération supportée par elle à raison de cette résiliation, d'autre part pour perte de valorisation des parts détenues par cette société à hauteur de 45 % du capital de la société Ubique Services ;

AUX MOTIFS QUE la société Evoliance soutient que la résiliation du protocole litigieux lui occasionne une perte de rémunération ainsi qu'une perte de valeur vénale des parts sociales qu'elle détient dans le capital de la société Ubique Services ; que non seulement l'évaluation chiffrée de la société Evoliance [relative à la perte de rémunération] revêt un caractère forfaitaire et donc non précis, mais encore c'est à bon droit que les sociétés Ubique et Itaque observent que le montant réclamé repose sur des données incertaines puisque le rapport d'évaluation produit aux débats - voir cote 4 du dossier de la société Evoliance, précise en préambule : « Notre étude réalisée au titre de l'année 2015, se base sur vos états financiers des exercices 2014 à 2015 qui vous sont rappelés ci-dessous, précision étant faite que : - 2014 : comptes annuels non arrêtés par les dirigeants, - 2015 : comptes non révisés par nos soins, - 2016 : prévisionnel établi par nos soins » ; que compte tenu des données reprises dans ce rapport, de la situation conflictuelle existant entre la société Evoliance et le Groupe Ubique, situation qui est une des raisons principales pour laquelle les comptes des exercices 2014 et 2015 n'ont pu être approuvés, et de l'absence de tout autre élément crédible, la Cour estime raisonnable de fixer le montant du préjudice subi de ce chef à 200 000 € ; qu'il sera fait droit à hauteur de la somme réclamée (293 400 €), laquelle est fondée sur une estimation (45% d'une moyenne de 652 000 €) que M. D... K..., directeur général de la société Ubique Services et dirigeant de la société Ubique a lui-même admis « être pas totalement irréaliste » - voir cote 8 du dossier de la société Evoliance, à la demande d'attribution de dommages-intérêts complémentaires pour indemnisation de la perte de valeur de parts sociales détenues par la société Evoliance ;

1° ALORS QUE pour justifier la condamnation des sociétés Ubique et Itaque, in solidum, à verser à la société Evoliance la somme de 200 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour perte de rémunération supportée à raison de la résiliation corrélative de la convention de conseil et de gestion administrative adossée au protocole du 21 février 2013, la cour a retenu qu'il était raisonnable de fixer ce préjudice à cette somme compte tenu des données figurant dans le rapport d'évaluation produit aux débats ; que, cependant, la cour, en « l'absence de tout autre élément crédible », a constaté que ce rapport reposait lui-même « sur des données incertaines », puisque les comptes de 2014 n'y avaient pas été arrêtés, que les comptes de 2015 n'y avaient pas été révisés et que ceux de 2016 n'y correspondaient qu'à un prévisionnel établi par la société Evoliance ; qu'en se fondant dès lors, pour fixer un préjudice, supposément certain, tiré de la perte de rémunération subie par la société Evoliance, sur les données d'un rapport d'évaluation dont elle a elle-même constaté qu'il reposait sur des données incertaines, c'est-à-dire non probantes, la cour a violé l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ;

2° ALORS QUE, pour justifier en outre la fixation du préjudice tiré de la perte de rémunération subie par la société Evoliance à la somme de 200 000 euros, la cour a fondé cette évaluation sur le fait que les parties étaient dans une « situation conflictuelle » ; qu'en se fondant sur une telle circonstance, inopérante, qui ne permettait aucun chiffrage du préjudice invoqué, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1 du code civil ;

3° ALORS QUE, pour justifier la condamnation de la société Ubique et de la société Itaque à payer à la société Evoliance une somme de 293 400 euros pour perte de valorisation des parts détenues par cette dernière à hauteur de 45 % du capital de la de la société Ubique Services, la cour a retenu que cette somme était fondée sur une estimation que M. D... K... avait lui-même admis « n'être pas totalement irréaliste », ainsi qu'il résultait d'une « cote 8 du dossier de la société Evoliance » ; qu'en réalité la pièce n° 8, produite par les exposantes, était un courriel adressé par M. K... à M. R... ; que, dans ce courriel, loin de trouver réaliste l'estimation proposée par l'expert-comptable de M. R..., portant sur la valorisation des parts de la société Ubique Services, entre 632 K et 681 K, M. K... indiquait : « « Cette évaluation me semble être complètement irréaliste » ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, la cour a violé le principe qui interdit au juge de dénaturer les documents de la cause.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-23867
Date de la décision : 23/09/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 06 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 23 sep. 2020, pourvoi n°18-23867


Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP L. Poulet-Odent, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.23867
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