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10/06/2005 | FRANCE | N°280890

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 10 juin 2005, 280890


Vu la requête, enregistrée le 26 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES (A.S.P.A.S), dont le siège est BP 505 à Crest Cedex (26401), représentée par son président en exercice et par M. Alain X..., administrateur dûment habilité ; il demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'arrêté conjoint du ministre de l'écologie et du développement durable et du ministre de l'agriculture, de la p

êche et des affaires rurales en date du 19 mai 2005 autorisant le prélève...

Vu la requête, enregistrée le 26 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES (A.S.P.A.S), dont le siège est BP 505 à Crest Cedex (26401), représentée par son président en exercice et par M. Alain X..., administrateur dûment habilité ; il demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'arrêté conjoint du ministre de l'écologie et du développement durable et du ministre de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales en date du 19 mai 2005 autorisant le prélèvement à titre dérogatoire d'un loup jusqu'au 15 juin 2005 sur zone définie par l'arrêté du préfet de l'Isère du 31 mai 2005 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

l'association requérante soutient que l'exécution de la décision litigieuse, qui consiste à abattre une série d'animaux appartenant à une espèce protégée, préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'elle a pour mission de défendre pour que la condition d'urgence soit considérée comme remplie ; que plusieurs moyens sont, en l'état de l'instruction, susceptibles de créer un doute sérieux quant à la légalité de décision contestée ; qu'en effet, le préfet de l'Isère a mis en application l'arrêté avant qu'il ne soit publié au Journal officiel ; que l'acte est entaché d'incompétence ; que le conseil national de la protection de la nature n'a pas été consulté dans des conditions régulières ; que l'arrêté attaqué méconnaît les articles 6 et 9 de la convention de Berne du 19 septembre 1979, les articles 12 et 16 de la directive dite « Habitat » n° 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ainsi que les dispositions de droit interne prises sur le fondement de l'article L. 411-1 du code de l'environnement ; qu'en vertu de ces règles, sanctionnées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, il ne peut être dérogé à la prohibition de la destruction du loup que si trois conditions, relatives respectivement au risque de dommages graves, à l'absence d'autre solution satisfaisante et à la garantie du bon état de conservation de la population animale intéressée, sont remplies ; qu'en l'espèce, cette triple condition n'est pas satisfaite dès lors, en premier lieu, que seulement cinq bovins ont été tués et que la responsabilité des loups n'est pas avérée, en deuxième lieu, qu'il existe de nombreuses autres solutions plus satisfaisantes que la destruction par tir, en troisième lieu, que quatre loups ayant déjà été tués sur le territoire depuis septembre 2004, tout nouveau prélèvement mettrait en péril la conservation de la population des loups en France ;

Vu l'arrêté dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête en annulation présentée conte l'arrêté contesté ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 3 juin 2005, présenté par le ministre de l'écologie et du développement durable et le ministre de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales qui concluent au rejet de la requête ; ils soutiennent que les signataires de l'arrêté du 19 mai 2005 disposaient de délégations régulières publiées au Journal officiel ; que le conseil national de la protection de la nature a été régulièrement consulté ; qu'en effet, le vice-président de la commission faune a, comme le permet le règlement intérieur du conseil, reçu une délégation et émis un avis favorable le 19 mai 2005 ; que les stipulations de la conventions de Berne ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne et ne sont donc pas invocables en l'espèce ; que les trois conditions auxquelles sont subordonnées les dérogations à l'interdiction de destruction des espèces protégées sont satisfaites ; qu'en premier lieu, la responsabilité des loups est avérée pour la mort de six bovins au cours d'une période de deux semaines, ce qui représente normalement l'équivalent des pertes annuelles de bovins dans la totalité du parc alpin ; qu'en deuxième lieu, l'association ne démontre pas l'existence d'autres solutions satisfaisantes mais se contente d'énumérer des méthodes sans analyser leur pertinence pour le territoire concerné ; que le recours au prélèvement n'a été autorisé que suite à l'échec des mesures de prévention ; qu'en troisième lieu, le prélèvement d'un animal n'est pas susceptible de nuire à la conservation de l'espèce compte tenu d'une progression constatée de 10 à 20 % la population des loups ; que la jurisprudence du Conseil d'Etat citée par la requérante est inapplicable en l'espèce ; que l'exécution de l'arrêté litigieux, qui a pour effet d'autoriser le prélèvement d'un seul animal, dans un département unique et pendant une période limitée, ne préjudicie pas de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts de l'association pour que la condition d'urgence soit considérée comme remplie ;

Vu le mémoire en réplique enregistré le 7 juin 2005, présenté pour l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que rien n'atteste que les délégataires aient agit dans la limite des attributions qui leur étaient confiées ; qu'il n'est pas démontré que le vice-président de la commission faune ait reçu délégation dans des conditions régulières ; que son avis, joint au dossier par les ministres, est manuscrit, anonyme et non daté ; que le règlement intérieur du conseil, qui ouvre la possibilité de donner à une seule personne compétence pour décider d'un acte aussi grave que la destruction d'un animal protégé méconnaît l'article 3 de l'arrêté du 17 avril 1981 ; que les ministres ne démontrent pas la responsabilité du loup dans les dommages invoqués ; que des solutions alternatives adaptées à la protection des bovins comme la pose de clôtures électrifiées auraient dû être préalablement envisagées ; que la solution de la destruction par tir est destinée à répondre à la pression des agriculteurs et des chasseurs ; que la progression des effectifs de loups alléguée par les ministres n'est pas avérée ; qu'ainsi, le principe de précaution doit primer ;

Vu enregistrées comme ci-dessus le 8 juin 2005, les pièces complémentaires produites par le ministre de l'écologie et du développement durable ;

Vu enregistré comme ci-dessus le 8 juin 2005 le nouveau mémoire en réplique produit pour l'ASPAS qui persiste dans ses conclusions au motif que la subdélégation donnée par la commission faune est contraire aux dispositions de l'article R. 251 ;16 du code de l'environnement ;

Vu enregistrées le 9 juin 2005 les nouvelles observations en réplique du ministre de l'écologie et du développement durable qui fait valoir notamment que les demandes d'avis du Conseil national de la Protection de la Nature sur les autorisations exceptionnelles de déroger aux interdictions prévues par l'arrêté du 17 avril 1981 modifié entrent dans le champ des affaires courantes pour lesquelles le comité permanent du CNPN est habilité à donner délégation à un de ses membres, conformément à l'article R. 251-16 du code de l'environnement ;

Vu, enregistré le 9 juin 2005 le nouveau mémoire en réplique présenté pour l'association requérante qui conteste que les dérogations en cause entrent dans la catégorie des affaires courantes et maintient que la subdélégation prévue par le règlement intérieur est entachée d'illégalité ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel ;

Vu la directive n° 92/43/CEE relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu l'arrêté du 17 avril 1981 modifié, fixant les listes des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES et, d'autre part, le ministre de l'écologie et du développement durable ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 8 juin 2005 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Z..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES ;

- les représentants du ministre de l'écologie et du développement durable ;

Considérant que la possibilité pour le juge des référés de prononcer, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée à la double condition qu'il y ait urgence et que l'un au moins des moyens invoqués soit, en l'état de l'instruction propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

Sur la condition d'urgence :

Considérant que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant et aux intérêts qu'il entend défendre ; que l'association requérante est une association créée sous le régime de la loi du 1er juillet 1901 dont l'objet social est la défense des animaux sauvages et qui est titulaire de l'agrément ministériel prévu par l'article L. 142-1 du code de l'environnement ; que le loup fait partie des espèces de faune sauvage protégées tant par la convention de Berne du 15 septembre 1979 que par la directive européenne n° 92/43 CEE du 21 mai 1992 dite « Habitats » et par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement et ses textes d'application ; que la mesure consistant, à titre dérogatoire, à prélever un animal de l'espèce Canis lupus dans une zone territoriale définie, porte une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que l'association ASPAS entend défendre ; qu'ainsi la condition tenant à l'urgence doit être regardée comme remplie ;

Sur l'existence d'un moyen propre à créer en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision :

Considérant que l'association requérante fait valoir que les conditions dans lesquelles le Conseil national de la protection de la nature a été consulté, comme il devait l'être par application des dispositions du second alinéa de l'article 3 ter de l'arrêté interministériel du 17 avril 1981 fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire national, ont été irrégulières ; qu'il résulte des pièces produites par l'administration que, sollicité par le ministre de l'écologie et du développement durable, M. Y..., vice-président de la commission faune du Conseil national de la protection de la nature, a donné avis favorable le 19 mai 2005 à l'opération de prélèvement d'un loup dans la zone définie par l'arrêté préfectoral en date du 13 mai 2005 ; que si, ainsi que le soutient le ministre, les dispositions de l'article R. 251-16 du code de l'environnement prévoient que le comité permanent constitué au sein du Conseil national de la protection de la nature « peut recevoir délégation du Conseil pour formuler un avis au ministre sur tout dossier» et que « ce comité peut à son tour donner délégation pour formuler un avis au ministre sur certaines affaires courantes à un des membres, ou à une des sous-commissions du Conseil constituée en application de l'article R. 251-10-1 qui lui en rendent compte régulièrement » et si par une délibération du 13 avril 2005, le comité permanent du Conseil national de la protection de la nature a « confirmé les délégations reçues du Conseil en sa séance d'installation du 23 mars 2005, notamment les délégations accordées aux commissions spécialisées en application de l'article R. 251-16 du code de l'environnement », il ne résulte pas de l'instruction que le comité permanent avait reçu délégation du Conseil pour formuler un avis au ministre sur tout dossier comme le prévoit l'article R. 251-16 précité, ni, en tout état de cause, qu'il avait, comme les dispositions de cet article le rendent possible, délégué à M. Y..., en tant que membre du Conseil national de la protection de la nature, le pouvoir de donner un avis au ministre sur certaines affaires courantes ; que, dans ces circonstances, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté n'a pas été précédé d'une consultation régulière du Conseil national de la protection de la nature, est, en l'état de l'instruction, propre à faire naître un doute sérieux sur sa légalité ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de prononcer la suspension de l'exécution de l'arrêté conjoint du ministre de l'écologie et du développement durable et du ministre de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales du 19 mai 2005 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros demandée par l'association requérante en application des dispositions précitées ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de l'arrêté conjoint du ministre de l'écologie et du développement durable et du ministre de l'agriculture, de la pêche et des affaires rurales en date du 19 mai 2005 est suspendu.

Article 2 : L'Etat versera à l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX SAUVAGES, au ministre de l'écologie et du développement durable et au ministre de l'agriculture et de la pêche.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 280890
Date de la décision : 10/06/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-035-02-03-01 PROCÉDURE. - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART. L. 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE). - CONDITIONS D'OCTROI DE LA SUSPENSION DEMANDÉE. - MOYEN PROPRE À CRÉER UN DOUTE SÉRIEUX SUR LA LÉGALITÉ DE LA DÉCISION. - ARRÊTÉ CONJOINT DU MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DU MINISTRE DE L'AGRICULTURE, DE LA PÊCHE ET DES AFFAIRES RURALES DU 19 MAI 2005 AUTORISANT LE PRÉLÈVEMENT D'UN LOUP - MOYEN TIRÉ DE L'IRRÉGULARITÉ DE LA CONSULTATION DU CONSEIL NATIONAL DE LA PROTECTION DE LA NATURE.

54-035-02-03-01 L'avis favorable requis du Conseil national de la protection de la nature sur l'arrêté attaqué a été accordé par le vice-président de la commission faune de ce Conseil. Si les dispositions de l'article R. 251-16 du code de l'environnement prévoient que le comité permanent constitué au sein du Conseil national de la protection de la nature « peut recevoir délégation du Conseil pour formuler un avis au ministre sur tout dossier» et que « ce comité peut à son tour donner délégation pour formuler un avis au ministre sur certaines affaires courantes à un des membres, ou à une des sous-commissions du Conseil constituée en application de l'article R. 251-10-1 qui lui en rendent compte régulièrement » et si par une délibération du 13 avril 2005, le comité permanent du Conseil national de la protection de la nature a « confirmé les délégations reçues du Conseil en sa séance d'installation du 23 mars 2005, notamment les délégations accordées aux commissions spécialisées en application de l'article R. 251-16 du code de l'environnement », il ne résulte pas de l'instruction que le comité permanent avait reçu délégation du Conseil pour formuler un avis au ministre sur tout dossier comme le prévoit l'article R. 251-16 précité, ni, en tout état de cause, qu'il avait, comme les dispositions de cet article le rendent possible, délégué au vice-président de la commission faune, en tant que membre du Conseil national de la protection de la nature, le pouvoir de donner un avis au ministre sur certaines affaires courantes. Dans ces circonstances, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté n'a pas été précédé d'une consultation régulière du Conseil national de la protection de la nature, est, en l'état de l'instruction, propre à faire naître un doute sérieux sur sa légalité.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2005, n° 280890
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Avocat(s) : RICARD

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:280890.20050610
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