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10/10/2005 | FRANCE | N°284944

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 10 octobre 2005, 284944


Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE VAL DE LYON, dont le siège est ..., représentée par son président en exercice, M. Philippe Y... ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté interministériel du 2 août 2005 par lequel le ministre de l'économie des finances et de l'industrie et le ministre de l'agriculture et de la pêche interdisent l'emploi de la mention de

Lyon dans l'étiquetage, la présentation commerciale, les factures et les...

Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE VAL DE LYON, dont le siège est ..., représentée par son président en exercice, M. Philippe Y... ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté interministériel du 2 août 2005 par lequel le ministre de l'économie des finances et de l'industrie et le ministre de l'agriculture et de la pêche interdisent l'emploi de la mention de Lyon dans l'étiquetage, la présentation commerciale, les factures et les documents de toute nature concernant la rosette et le jésus ne répondant pas au cahier des charges de l'indication géographique protégée rosette et jésus de Lyon transmise pour enregistrement à la Commission européenne ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

la société soutient qu'il y a urgence ; que l'exécution de l'arrêté préjudicie de manière grave et immédiate à son activité économique ; que la décision contestée n'était pas prévisible ; qu'aucune mesure d'adaptation transitoire n'a été prévue pour les entreprises qui, comme elle, ne répondent pas aux critères du cahier des charges ; que ce dernier dénature les modes de fabrication traditionnels, crée des contraintes d'approvisionnement insurmontables et élargit la zone géographique de production ; que la suppression de la dénomination de Lyon dans la présentation des rosettes et jésus qu'elle fabrique, et qui représentent 85 % de sa production totale, aura pour conséquence la chute de ses ventes ; que de nombreux producteurs historiques de la région lyonnaise risquent d'être exclus du marché ; qu'ainsi, l'ampleur des enjeux économiques et sociaux en cause commandent la suspension de l'arrêté ; que plusieurs moyens sont, en l'état de l'instruction, susceptibles de créer un doute sérieux quant à la légalité de la mesure contestée ; qu'elle est intervenue suite à une procédure irrégulière ; qu'en effet, l'arrêté méconnaît les dispositions du décret du 28 août 2000 codifié aux articles R. 642-3 et suivant du code rural dès lors que le groupement Projely n'a pas accompagné sa demande initiale d'enregistrement de l'indication géographique protégée rosette et jésus de Lyon d'une demande de protection nationale transitoire ; que, par suite, le principe du contradictoire applicable à ce type d'acte n'a pas été respecté ; qu'au fond, l'arrêté méconnaît l'article 5§5, 2 du règlement (CEE) n° 2081/92 du 14 juillet 1992 qui n'autorise la mise en place de mesure de protection nationale transitoire qu'à la double condition que celle-ci soit nécessaire et qu'elle n'affecte pas les échanges intra-communautaires ; que la mesure n'était pas justifiée puisqu'au contraire, elle cause un préjudice grave aux producteurs historiques de rosette et de jésus ; qu'elle porte, en outre, atteinte aux échanges intra-communautaires dans la mesure où l'approvisionnement en viande de coche auprès d'autres Etats membres est interdit aux producteurs qui souhaitent bénéficier de l'indication géographique protégée ; que l'arrêté constitue donc une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative aux échanges proscrite par l'article 28 du Traité CE, d'autant plus que le cahier des charges n'interdit pas l'approvisionnement dans d'autres régions françaises sans lien avec la région lyonnaise ; que l'arrêté met en oeuvre deux arrêtés illégaux en date du 29 mars 2005, l'un portant homologation du cahier des charges du label agricole pour le produit rosette et jésus de Lyon au nom du groupement Projely, l'autre transmettant le dossier à la Commission européenne pour enregistrement comme indication géographique protégée ; que ces deux actes ont été pris en méconnaissance des exigences de l'article 7. 2 du règlement (CEE) n° 2081/92 du 14 juillet 1992 et de l'article R. 642-10 du code rural qui disposent que les ministres doivent informer les opposants par décision motivée des suites à donner à la demande ; qu'ils sont entachés d'un détournement de pouvoir visant à régulariser l'usage abusif par certains adhérents du groupement Projely de la mention Lyon sur la présentation de leurs rosettes et jésus, en violation des règles sur les indications d'origine ou de provenance ; que le cahier des charges homologué et transmis à la Commission européenne par les arrêtés du 29 mars 2005 est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans la détermination de la zone d'indication géographique protégée et le mode de production de la rosette et du jésus de Lyon ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2005, présenté par le ministre de l'agriculture et de la pêche qui tend au rejet de la requête ; il soutient que l'arrêté contesté, qui n'a pas pour effet d'obliger la société à mettre fin à sa production de rosette et de jésus mais ne fait que lui interdire d'apposer la mention de Lyon sur ses produits, ne préjudice pas de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la requérante pour que la condition d'urgence soit considérée comme remplie ; que la rosette et le jésus de Lyon ne représentent pas 85 % de l'activité de la société et qu'il n'est pas attesté que des difficultés économiques et financières affecteraient la situation d'ensemble de la société ; qu'il n'est pas établi que la requérante soit dans l'impossibilité de produire selon les modes de production requis par le cahier des charges dès lors notamment que ce dernier prévoit une période d'adaptation de dix ans en ce qui concerne l'approvisionnement en viande de coche afin de prendre en considération le délai nécessaire à la mise en place régionale de cette production ; que l'arrêté, qui est le résultat d'une concertation débutée en 1999 et à laquelle la société a été associée, était prévisible ; que le préjudice allégué résulte donc du comportement même de la requérante qui aurait dû adapter son activité au cahier des charges homologué le 29 mars 2005 ; qu'aucune mesure d'adaptation n'était nécessaire pour les entreprises ne répondant pas au cahier des charges ; qu'il n'existe pas, en l'état de l'instruction, de moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse ; que les dispositions du décret du 28 août 2000 invoquées par la requérante n'étaient pas entrées en vigueur en 1999 lorsque le groupement Projely a déposé sa demande ; que l'article 5§5, 2 du règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992 autorise la mise en place d'une protection nationale transitoire sans condition ; que l'arrêté contesté, qui a pour seule conséquence d'interdire que les rosettes et jésus fabriqués à partir de viande de coche importée portent la mention Lyon sur leur étiquetage, ne peut être considéré comme une restriction aux échanges proscrite par à l'article 28 du Traité CE ; qu'en tout état de cause, la mesure contestée est justifiée par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale dont relèvent les appellations d'origine contrôlée en application de l'article 30 du traité CE ; que le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 7.2 du Règlement (CEE) n°2081/92 et de l'article R. 642-10 du code rural est inopérant à l'encontre de l'arrêté du 2 août 2005 qui ne concerne pas l'homologation d'une protection d'indication géographique protégée ; que, dans sa décision du 28 juillet 2005, le juge des référés du Conseil d'Etat a estimé qu'il n'existait pas de doute sérieux quant à la légalité des arrêtés du 29 mars 2005 ; qu'ils ne sont entachés ni de détournement de pouvoir ni d'erreur manifeste d'appréciation ; que l'exception d'illégalité invoquée doit donc être écartée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2005, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui tend au rejet de la requête ; il soutient que l'arrêté contesté, qui n'a pas pour effet d'obliger la société a mettre fin à sa production de rosette et de jésus mais ne fait que lui interdire d'apposer la mention de Lyon sur ses produits, ne préjudice pas de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la requérante pour que la condition d'urgence soit considérée comme remplie ; que, suite à l'intervention des arrêtés du 29 mars 2005, la requérante a eu quatre mois pour s'adapter au cahier des charges ; que la mesure contestée, qui ne fait que tirer les conséquences de ces arrêtés, était prévisible ; qu'une période d'adaptation n'était pas nécessaire ; qu'il n'existe pas, en l'état de l'instruction, de moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté litigieux ; que le décret du 28 août 2000 n'exige pas que la demande de protection transitoire soit déposée en même temps que la demande d'enregistrement d'indication géographique protégée mais prévoit qu'elle doit être déposée en temps utile ; que le principe du contradictoire applicable à ce type d'acte a été respecté ; qu'au fond, l'arrêté contesté, qui ne porte pas atteinte aux échanges intra-communautaires, ne méconnaît pas les dispositions de l'article 5§5, 2 du règlement (CEE) n° 2081-92 du 14 juillet 1992 ; qu'il ne peut être considéré comme une mesure constituant une restriction quantitative aux échanges proscrite par l'article 28 du Traité CE ; que les arrêtés du 29 mars 2005, sur la base desquels a été prise la décision contestée, sont intervenus suite à une procédure contradictoire ; qu'ils ne sont entachés ni de détournement de pouvoir ni d'erreur manifeste d'appréciation ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 29 septembre 2005, présenté pour la SOCIETE VAL DE LYON ; elle reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; elle ajoute que l'arrêté contesté n'était pas prévisible eu égard notamment à l'avis négatif qu'avait donné l'I.N.A.O à son sujet et au caractère dérogatoire d'une telle mesure ; qu'en tout état de cause, il lui est impossible de se conformer au cahier des charges ; que le dispositif provisoire de dix ans prévu pour l'approvisionnement en viande de coche n'est pas adapté ; que la mesure de protection transitoire litigieuse constitue une restriction aux échanges disproportionnée au regard des objectifs de protection industrielle et commerciale ; que la zone de production retenue dans le cahier des charges s'apparente à la création d'un label régional ;

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 4 octobre 2005, présentées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; il conclut au rejet de la requête ; il fait valoir également que la société n'a nullement mis un terme à la commercialisation de ses produits ;

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 5 octobre 2005, présentées par le ministre de l'agriculture et de la pêche qui persiste dans ses conclusions tendant au rejet de la requête ; il fait valoir qu'il résulte des productions mêmes de la société que ses ventes de rosette et de jésus de Lyon représentent 46,6 % seulement de son chiffre d'affaire ; que le cahier des charges adopté n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation ni quant à la zone de protection ni quant au pourcentage de viande de coche retenu ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne ;

Vu le règlement (CEE) n° 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992, modifié notamment par le règlement (CE) n° 535/97 du Conseil du 17 mars 1997 ;

Vu le décret n° 2000-615 du 28 juin 2000 ;

Vu le code rural ;

Vu le code de la consommation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SOCIETE VAL DE LYON, d'autre part, le ministre de l'agriculture et de la pêche et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du 6 octobre 2005 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SOCIETE VAL DE LYON ;

- les représentants de la SOCIETE VAL DE LYON ;

- les représentants du ministre de l'agriculture et de la pêche ;

Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la possibilité pour le juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée non seulement à la circonstance que soit invoqué un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, mais également à la condition qu'il y ait urgence ; que l'urgence ne justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif que pour autant que son exécution porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés saisi d'une demande tendant à la suspension d'un tel acte, d'apprécier concrètement compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celui-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;

Considérant que la SOCIETE VAL DE LYON soutient, pour justifier l'urgence, en premier lieu, que l'application de l'arrêté dont elle demande la suspension, va la conduire à cesser la production et la commercialisation de produits qui représentent au moins 50% de son chiffre d'affaires ; que toutefois, cet arrêté, s'il interdit l'emploi de l'indication géographique Lyon dans l'étiquetage, la présentation commerciale, les factures et les documents de toute nature concernant la rosette et le jésus qui ne répondent pas au cahier des charges de l'indication géographique protégée rosette et jésus de Lyon transmise pour enregistrement à la Commission européenne et des produits qui leur sont comparables par nature, ne fait pas obstacle à la possibilité de produire et de commercialiser des produits sous l'appellation de rosette ou jésus ; qu'elle fait valoir, en second lieu, que ses clients sont pour la plus grande partie de ses débouchés des entreprises de la grande distribution qui s'adressent à elle en vue de commercialiser des produits présentant un lien fort avec le terroir et qui ne manqueront pas de la déréférencer dès lors que ses produits ne pourront plus faire état d'une indication géographique ; que cependant, elle ne produit aucun document de nature à établir la menace qu'elle allègue ; qu'elle ne justifie pas davantage devant le juge des référés qu'elle a enregistré, depuis l'intervention de l'arrêté qu'elle conteste, une chute brutale et sensible de ses ventes ; qu'enfin, si la SOCIETE VAL DE LYON qui est située dans la zone géographique retenue par le cahier des charges de l'indication protégée, expose qu'elle aura des difficultés à s'adapter aux conditions nouvelles posées par celui-ci, notamment en ce qui concerne son approvisionnement , elle n'apporte aucun élément précis de nature à établir que ses craintes sont justifiées ; que, dans ces conditions et en l'état de l'instruction, la société requérante ne justifie pas que l'arrêté dont elle demande la suspension, porte une atteinte grave et immédiate à sa situation ; qu'ainsi, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut, en l'espèce, être regardée comme satisfaite ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de la SOCIETE VAL DE LYON doit être rejetée ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la SOCIETE VAL DE LYON est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIETE VAL DE LYON, au ministre de l'agriculture et de la pêche et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 284944
Date de la décision : 10/10/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2005, n° 284944
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Avocat(s) : HEMERY

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:284944.20051010
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