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13/01/2006 | FRANCE | N°259824

France | France, Conseil d'État, 9eme et 10eme sous-sections reunies, 13 janvier 2006, 259824


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 23 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE, dont le siège est La Duranne ... (13857) ; la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 mai 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 octobre 1998 rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impô

t sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 août et 23 décembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE, dont le siège est La Duranne ... (13857) ; la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 mai 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 octobre 1998 rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1988, en tant qu'elles résultent de la réintégration de provisions pour franchise de garantie décennale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste Laignelot, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Le Prado, avocat de la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE,

- les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE, qui exerce l'activité d'entrepreneur de travaux, s'est vue notifier des redressements découlant notamment de la réintégration dans ses résultats de provisions déduites lors des exercices clos de 1986 à 1988 au titre de chantiers n'ayant pas encore fait l'objet d'une réception, pour couvrir les sommes que cette société estimait pouvoir être appelée à acquitter en franchise de son assurance par suite de la mise en jeu de sa responsabilité décennale ; que la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE demande l'annulation de l'arrêt du 28 mai 2003 de la cour administrative d'appel de Marseille confirmant le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 octobre 1998 rejetant sa demande tendant à la décharge, dans cette mesure, du supplément d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'année 1988 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant… notamment : … / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables… ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; qu'en outre, en ce qui concerne les provisions pour charges, elles ne peuvent être déduites au titre d'un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du même exercice, les produits afférents à ces charges ;

Considérant que la responsabilité décennale d'un constructeur ne peut être mise en jeu, au titre d'un chantier, qu'à compter de la réception, partielle ou totale, de l'ouvrage ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient la société, cette charge future ne peut faire l'objet d'une provision déductible dès l'exercice d'ouverture du chantier, mais seulement à compter de l'exercice de la réception des travaux, cette dernière pouvant seule constituer l'événement de nature à la rendre probable au sens des dispositions précitées ; qu'il en résulte que la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE n'est pas fondée à soutenir qu'au regard de la loi fiscale, la cour administrative d'appel de Marseille aurait commis une erreur de droit en jugeant que les provisions en litige n'étaient pas déductibles dès lors que, faute que soit intervenue à la date de clôture des exercices concernés la réception des constructions auxquelles elles se rapportaient, ou un événement ayant le même effet, la responsabilité décennale de la société ne pouvait être mise en jeu ;

Considérant toutefois que si, en vertu des dispositions du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont, en ce qui concerne les travaux d'entreprise, rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la réception complète ou partielle, même si elle est seulement provisoire ou faite avec réserves, ou la mise à disposition du maître de l'ouvrage si elle est antérieure, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE s'est prévalue, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe 14 de la documentation administrative 4 A 253, selon lesquelles l'administration ne s'oppose pas, par dérogation aux dispositions du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, à ce que les entreprises de travaux inscrivent, pour la totalité ou certains de leurs chantiers, au titre des produits d'exploitation de l'exercice, les créances afférentes aux travaux effectués telles qu'elles apparaissent sur la dernière situation de travaux établie avant la date de clôture de l'exercice considéré ; que l'administration a ainsi autorisé les entreprises de travaux à comptabiliser leur résultat à l'avancement, ce qu'a fait en l'espèce la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE ; que le résultat à l'avancement de chaque exercice, dès l'ouverture du chantier, étant égal à la quote-part, correspondant à l'état d'avancement des travaux, du résultat à terminaison prévisionnel, et ce dernier intégrant la provision pour franchise de garantie décennale, la société était fondée, au regard des énonciations de la documentation administrative mentionnée ci-dessus, qui ont pour effet de déroger, pour les exercices d'avancement des travaux, à l'exigence d'un événement en cours fixée par les dispositions précitées de l'article 39-1-5° du code général des impôts, à déduire les provisions litigieuses du résultat imposable de chacun de ces exercices, dès lors que, par ailleurs, il n'est pas soutenu par l'administration que le résultat à terminaison fiscal était différent du résultat à terminaison comptable ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que ces provisions n'étaient pas déductibles au titre des exercices en cause alors même qu'elle enregistrait dans sa comptabilité les produits des travaux d'entreprise selon la méthode de l'avancement, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant, en premier lieu, que l'administration ne conteste pas le montant et le mode de calcul des provisions litigieuses, dont elle a d'ailleurs admis le bien-fondé en ce qui concerne les provisions constituées à compter de l'exercice de réception des chantiers ; que, dans ces conditions, ces provisions doivent être regardées comme ayant été déterminées avec une précision suffisante ;

Considérant, en second lieu, que si l'administration soutient que les produits tirés de la réalisation des travaux, auxquels les provisions en litige devaient être rattachées, ne pouvaient être comptabilisés avant la réception des travaux, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE pouvait comptabiliser à l'avancement le résultat des chantiers en cours et en déduire les provisions litigieuses ; que, dès lors, la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'exercice 1988, en tant qu'elles résultent de la réintégration des provisions pour franchise de garantie décennale ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE devant les juges du fond et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 28 mai 2003 et le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 23 octobre 1998 sont annulés.

Article 2 : La SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice 1988, en tant qu'elles résultent de la réintégration des provisions pour franchise de garantie décennale.

Article 3 : L'Etat versera à la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE COLAS MIDI MEDITERRANEE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 9eme et 10eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 259824
Date de la décision : 13/01/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE NET. - PROVISIONS. - EXERCICE DE RATTACHEMENT - NÉCESSITÉ D'UN ÉVÉNEMENT EN COURS [RJ1] - APPLICATION AUX PROVISIONS CONSTATÉES AU TITRE DE LA GARANTIE DÉCENNALE D'UN CONSTRUCTEUR - A) PRINCIPE - EXERCICE AYANT DONNÉ LIEU À LA RÉCEPTION DES TRAVAUX - B) DÉROGATION RÉSULTANT DES ÉNONCIATIONS DU PARAGRAPHE 14 DE LA DOCUMENTATION ADMINISTRATIVE DE BASE 4 A 253 (ART. L. 80 A DU LPF) - RATTACHEMENT DE LA PROVISION CORRESPONDANT À CHAQUE QUOTE-PART DU RÉSULTAT À TERMINAISON PRÉVISIONNEL À L'EXERCICE AU TITRE DUQUEL CETTE QUOTE-PART EST COMPTABILISÉE.

19-04-02-01-04-04 a) La responsabilité décennale d'un constructeur ne peut être mise en jeu, au titre d'un chantier, qu'à compter de la réception, partielle ou totale, de l'ouvrage. Dès lors, cette charge future ne peut faire l'objet d'une provision déductible dès l'exercice d'ouverture du chantier, mais seulement à compter de l'exercice de la réception des travaux, cette dernière pouvant seule constituer l'événement de nature à la rendre probable au sens des dispositions de l'article 39, 1 5° du code général des impôts.,,b) Toutefois, aux termes des énonciations du paragraphe 14 de la documentation administrative de base 4 A 253, l'administration ne s'oppose pas, par dérogation aux dispositions du 2 bis de l'article 38 du code général des impôts, à ce que les entreprises de travaux inscrivent, pour la totalité ou certains de leurs chantiers, au titre des produits d'exploitation de l'exercice, les créances afférentes aux travaux effectués telles qu'elles apparaissent sur la dernière situation de travaux établie avant la date de clôture de l'exercice considéré. L'administration a ainsi autorisé les entreprises de travaux à comptabiliser leur résultat à l'avancement. Le résultat à l'avancement de chaque exercice, dès l'ouverture du chantier, étant égal à la quote-part, correspondant à l'état d'avancement des travaux, du résultat à terminaison prévisionnel, et ce dernier intégrant la provision pour franchise de garantie décennale, une société est donc fondée, au regard des énonciations de la documentation administrative mentionnée ci-dessus, qui ont pour effet de déroger, pour les exercices d'avancement des travaux, à l'exigence d'un événement en cours fixée par les dispositions précitées de l'article 39-1-5° du code général des impôts, à déduire cette provision du résultat imposable de chacun des exercices en litige, dès lors que, par ailleurs, il n'est pas soutenu par l'administration que le résultat à terminaison fiscal était différent du résultat à terminaison comptable.


Références :

[RJ1]

Sur ce point, cf. 1er octobre 2001, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ Société Nervol, T. p. 930.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2006, n° 259824
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste Laignelot
Rapporteur public ?: M. Verclytte
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:259824.20060113
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