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21/10/2011 | FRANCE | N°333045

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 21 octobre 2011, 333045


Vu la requête, enregistrée le 23 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL (CGT), dont le siège est au 263, rue de Paris à Montreuil (93516 Cedex) ; la CGT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2 et 3 du décret n° 2009-1011 du 25 août 2009 relatif aux modalités d'indemnisation des conseillers prud'hommes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14...

Vu la requête, enregistrée le 23 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL (CGT), dont le siège est au 263, rue de Paris à Montreuil (93516 Cedex) ; la CGT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2 et 3 du décret n° 2009-1011 du 25 août 2009 relatif aux modalités d'indemnisation des conseillers prud'hommes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 octobre 2010, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ;

Vu la Constitution, notamment son article 62 ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, notamment son article 51, ainsi que la décision du Conseil constitutionnel n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006 ;

Vu le décret n° 2009-1010 du 25 août 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur,

- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1442-5 du code du travail : Les employeurs laissent aux salariés de leur entreprise, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales déterminées par décret en Conseil d'Etat ; qu'aux termes de l'article L. 1442-6 de ce code : Le temps passé hors de l'entreprise pendant les heures de travail par les conseillers prud'hommes du collège salarié pour l'exercice de leurs fonctions est assimilé à un temps de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son contrat de travail, des dispositions légales et des stipulations conventionnelles. / Les absences de l'entreprise des conseillers prud'hommes du collège salarié, justifiées par l'exercice de leurs fonctions, n'entraînent aucune diminution de leurs rémunérations et des avantages correspondants (...) ; que, dans sa rédaction issue du décret du 25 août 2009 relatif à l'indemnisation des conseillers prud'hommes, le 2° de l'article R. 1423-55 de ce code inclut parmi les activités prud'homales mentionnées à l'article L. 1442-5 Les activités juridictionnelles suivantes : / a) L'étude préparatoire d'un dossier, préalable à l'audience de la formation de référé, du bureau de conciliation ou du bureau de jugement, par le président de la formation ou du bureau ou par un conseiller désigné par lui ; / b) Les mesures d'instruction prévues à la section 1 du chapitre IV du titre V du présent livre, diligentées par le conseiller rapporteur, ainsi que la rédaction de son rapport ; / c) La participation à l'audience de la formation de référé, du bureau de conciliation ou du bureau de jugement, ainsi qu'à l'audience de départage ; / d) L'étude d'un dossier postérieure à l'audience à laquelle l'affaire est examinée et préalable au délibéré, lorsque la formation de référé ou le bureau de jugement, hors le cas où ils siègent en audience de départage, la décide et la confie à deux de ses membres, l'un employeur, l'autre salarié ; / e) La participation au délibéré ; / f) La rédaction des décisions et des procès-verbaux, effectuée au siège du conseil de prud'hommes ou à l'extérieur de celui-ci ; / g) La relecture et la signature par le président de la formation de référé ou du bureau de jugement des décisions dont la rédaction a été confiée à un autre membre de l'une de ces formations (...) ; qu'aux termes de l'article L. 1423-15 du même code : Les dépenses de personnel et de fonctionnement du conseil de prud'hommes sont à la charge de l'Etat ; qu'aux termes de l'article R. 1423-51 du code du travail : Les dépenses de personnel et de fonctionnement des conseils de prud'hommes comprennent notamment : / (...) 3º L'indemnisation des activités prud'homales énumérées à l'article R. 1423-55 dans les limites et conditions fixées par décret (...) ; qu'aux termes, enfin, de l'article D. 1423-59 de ce code : L'employeur est remboursé mensuellement par l'Etat des salaires maintenus au salarié, membre d'un conseil de prud'hommes, qui s'absente pour l'exercice de ses activités prud'homales, ainsi que de l'ensemble des avantages et des charges sociales correspondantes lui incombant (...) ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, il appartient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, de fixer les modalités d'indemnisation des conseillers prud'hommes dans l'intérêt du bon emploi des deniers publics et d'une bonne administration de la justice, qui découlent des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, sans porter atteinte à l'impartialité et à l'indépendance de la juridiction garanties par son article 16 ; que ces principes ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire fixe des plafonds au nombre d'heures indemnisables au titre des activités prud'homales ; qu'ils imposent en revanche que ces plafonds soient accompagnés de mécanismes autorisant leur dépassement, compatibles avec l'indépendance et le fonctionnement paritaire de la juridiction prud'homale ;

Considérant que, dans sa rédaction issue de l'article 2 du décret attaqué, l'article D. 1423-65 du code du travail prévoit que le nombre d'heures indemnisables au titre de l'étude préparatoire des dossiers préalable à l'audience est d'une heure par audience du bureau de jugement et de trente minutes par audience du bureau de conciliation ainsi que de la formation de référé ; qu'il permet que cette durée soit dépassée, dans la limite d'une demi-heure supplémentaire s'agissant de l'étude préalable à l'audience de la formation de référé lorsque l'audience comporte plus de trente dossiers inscrits au rôle ; qu'il prévoit en outre que le nombre d'heures indemnisables au titre de l'étude d'un dossier postérieure à l'audience et préalable au délibéré est d'une heure trente par dossier examiné par un bureau de jugement et de trente minutes par dossier s'agissant de la formation de référé, qui peut être augmenté sur autorisation expresse de la formation de référé ou du bureau de jugement ; que, dans sa rédaction issue de l'article 3 du même décret, l'article D. 1423-66 prévoit que le nombre d'heures indemnisables qu'un conseiller prud'homme peut déclarer avoir consacré à la rédaction des décisions et des procès-verbaux mentionnés au f du 2° de l'article R. 1423-55 ne peut dépasser les durées suivantes : trente minutes pour un procès-verbal de conciliation, cinq heures pour un jugement et une heure pour une ordonnance de référé ; que cet article prévoit en outre que le président du conseil de prud'hommes, saisi par le président du bureau de jugement ou de la formation de référé, décide de la durée de rédaction lorsque le conseiller consacre à la rédaction un temps supérieur à celui autorisé ; que cette possibilité d'autoriser un dépassement du nombre d'heures indemnisables n'est prévue que pour la rédaction des jugements et des ordonnances de référé, mais pas pour celle des procès-verbaux de conciliation ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions litigieuses ont pour objet de définir un plafond au nombre d'heures indemnisables qu'un conseiller prud'homme peut déclarer avoir consacré à l'étude de dossiers et à la rédaction de décisions ; qu'elles peuvent avoir pour effet, en cas de dépassement du nombre d'heures indemnisables autorisé, de mettre les conseillers prud'hommes salariés en situation d'absence irrégulière vis-à-vis de leur employeur, dès lors que le temps consacré par le conseiller prud'homme à l'étude de dossiers ou à la rédaction d'une décision ou d'un procès-verbal au-delà du nombre d'heures indemnisables établi par la formation de référé, le bureau de jugement ou le président du conseil de prud'hommes ne pourra pas être considéré comme une absence justifiée par l'exercice des fonctions, au sens de l'article L. 1442-6 du code du travail ; qu'il suit de là que la limitation du nombre d'heures indemnisables est susceptible de limiter le temps consacré à l'étude de chaque dossier et à la rédaction de chaque décision ou procès-verbal par les conseillers prud'hommes ; qu'une telle limitation, compte tenu du niveau fixé et en l'absence de toute possibilité d'autorisation par la juridiction d'un dépassement du nombre d'heures indemnisables, procède à une inexacte conciliation entre le bon emploi des deniers publics et l'indépendance de la juridiction prud'homale ; que, par suite, les dispositions des articles D. 1423-65 et D. 1423-66, qui ne prévoient une possibilité de dépassement que pour l'étude d'un dossier postérieure à l'audience et préalable au délibéré et pour la rédaction des jugements et des ordonnances de référé et non pour la rédaction des procès-verbaux de conciliation et pour l'étude préparatoire des dossiers préalable à l'audience, la possibilité de dépassement dans la limite d'une demi-heure prévue pour l'étude préparatoire des dossiers préalable à l'audience de la formation de référé lorsque l'audience comporte plus de trente dossiers inscrits au rôle ne pouvant en tenir lieu, sont entachées d'illégalité dans cette mesure ;

Considérant, en deuxième lieu, que l'article D. 1423-65 du code du travail prévoit l'autorisation expresse de la formation de référé ou du bureau de jugement afin d'augmenter le nombre d'heures indemnisables au titre de l'étude d'un dossier postérieure à l'audience et préalable au délibéré ; que la seule circonstance que cette disposition présenterait des difficultés d'application ne suffit pas à établir qu'elle serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Considérant, en troisième lieu, que l'article D. 1423-66 du code du travail permet au président du conseil de prud'hommes de décider, dans certains cas, du principe du dépassement de la durée de rédaction d'une décision ; qu'en confiant une telle attribution, de caractère administratif, au président de la juridiction, le décret attaqué n'a pas porté atteinte au principe du fonctionnement paritaire de la juridiction prud'homale énoncé au premier alinéa de l'article L. 1421-1 du code du travail, aux termes duquel le conseil de prud'hommes est une juridiction élective et paritaire ;

Considérant, en quatrième lieu, que la saisine du président du conseil de prud'hommes par le président du bureau de jugement ou de la formation de référé en cas de dépassement par un conseiller du temps autorisé s'inscrit dans le prolongement de ses activités prud'homales ; que le pouvoir règlementaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne prévoyant pas une indemnisation spécifique du président du bureau de jugement pour la rédaction de cette saisine ; que le président du conseil de prud'hommes bénéficie quant à lui, en application de l'article R. 1423-55, d'une indemnisation au titre de ses fonctions administratives ; que le pouvoir règlementaire n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne prévoyant pas une indemnisation spécifique complémentaire du président du conseil de prud'hommes lorsqu'il décide de la durée de rédaction donnant lieu à indemnisation en application de l'article D. 1423-66 ;

Considérant, en cinquième lieu, que les conseillers prud'hommes, qui exercent leurs fonctions à temps partiel et pour une durée déterminée dans une juridiction spécialisée, et qui ne sont pas régis par le statut des magistrats pris en application de l'article 64 de la Constitution, ne sont pas placés dans la même situation que les magistrats régis par ce statut ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre magistrats ne peut dès lors qu'être écarté ; qu'il en va de même du moyen tiré de la rupture d'égalité entre les justiciables, le décret litigieux n'ayant ni pour objet ni pour effet de créer une telle rupture ;

Considérant, en sixième lieu, que le pouvoir réglementaire ne pouvant disposer que pour l'avenir, le syndicat requérant ne saurait faire grief au décret attaqué de ne pas comporter des dispositions rétroactives ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n'est fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 du décret attaqué qu'en tant que la modification des articles D. 1423-65 et D. 1423-66 du code du travail à laquelle ils procèdent plafonne, sans possibilité de dérogation, le nombre d'heures indemnisables que le conseiller prud'homme peut déclarer avoir consacré, d'une part, à l'étude préparatoire des dossiers préalable à l'audience d'un bureau de conciliation, d'un bureau de jugement et d'une formation de référé et, d'autre part, à la rédaction des procès-verbaux de conciliation ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, qui ne justifie au demeurant pas avoir exposé de tels frais dans la présente instance ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 et 3 du décret du 25 août 2009 sont annulés, en tant que la modification des articles D. 1423-65 et D. 1423-66 du code du travail à laquelle ils procèdent plafonne, sans possibilité de dérogation, le nombre d'heures indemnisables que le conseiller prud'homme peut déclarer avoir consacré, d'une part, à l'étude préparatoire des dossiers préalable à l'audience d'un bureau de conciliation, d'un bureau de jugement et d'une formation de référé, et, d'autre part, à la rédaction des procès-verbaux de conciliation.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, au ministre du travail, de l'emploi et de la santé et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 333045
Date de la décision : 21/10/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2011, n° 333045
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Jacques Arrighi de Casanova
Rapporteur ?: M. Raphaël Chambon
Rapporteur public ?: M. Cyril Roger-Lacan

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2011:333045.20111021
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