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04/12/2013 | FRANCE | N°362142

France | France, Conseil d'État, 4ème / 5ème ssr, 04 décembre 2013, 362142


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 22 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B...D..., demeurant..., M. F...H..., demeurant..., M. A...G..., demeurant..., M. I...C..., demeurant..., et M. E...J..., demeurant ... ; M. D... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11NC01506 - 11NC01507 - 11NC01508 - 11NC01509 et 11NC01510 du 5 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, annulé les jugements n°s 1001903 - 1001894 - 1001898 - 1001899 et 1

001892 du 7 juillet 2011 par lesquels le tribunal administratif d...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août et 22 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B...D..., demeurant..., M. F...H..., demeurant..., M. A...G..., demeurant..., M. I...C..., demeurant..., et M. E...J..., demeurant ... ; M. D... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11NC01506 - 11NC01507 - 11NC01508 - 11NC01509 et 11NC01510 du 5 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, annulé les jugements n°s 1001903 - 1001894 - 1001898 - 1001899 et 1001892 du 7 juillet 2011 par lesquels le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions du 9 août 2010 du ministre du travail autorisant le licenciement de MM. I...C..., E...J..., B...D..., A...G...et F...H...et, d'autre part, rejeté leurs demandes de première instance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Ardennaise d'Essieux la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Chaltiel-Terral, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. D...et autres et à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Ardennaise d'Essieux ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en raison de difficultés économiques, la société Gigant France a décidé de concentrer sa production d'essieux pour poids lourds sur son site de Ham-Les-Moines dans les Ardennes et de fermer, en conséquence, son établissement secondaire situé à Saint-Thibault dans l'Aube ; que le 6 janvier 2010, elle a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier l'ensemble des salariés protégés employés sur le site de Saint-Thibault, dont MM.D..., H..., G..., C...etJ..., et que, par cinq décisions en date du 9 août 2010, prises sur recours hiérarchique, le ministre chargé du travail a autorisé la société Gigant France à licencier les intéressés ; que, saisie par la société Ardennaise d'Essieux venant aux droits de la société Gigant France, la cour administrative d'appel de Nancy a, par un arrêt du 5 juin 2012, annulé les jugements du 7 juillet 2011 par lesquels le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé les décisions ministérielles portant autorisation de licencier MM.D..., H..., G..., C...et J...; que les intéressés se pourvoient en cassation contre l'arrêt de la cour ;

Sur la régularité et le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne le moyen relatif à l'irrégularité de l'avis du comité central d'entreprise :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-36 du code du travail : "Dans les entreprises dotées d'un comité central d'entreprise, l'employeur consulte le comité central et le ou les comités d'établissement intéressés dès lors que les mesures envisagées excèdent le pouvoir du ou des chefs d'établissement concernés ou portent sur plusieurs établissements simultanément " ; qu'en vertu de l'article R. 2327-6 du même code, les articles R. 2324-24 et R. 2324-25 sont applicables aux contestations relatives à l'élection des délégués des comités d'établissements et à la désignation des représentants syndicaux au comité central d'entreprise ; qu'aux termes de l'article R. 2324-24 de ce code : " [...] Lorsque la contestation porte sur la régularité de l'élection ou sur la désignation de représentants syndicaux, la déclaration n'est recevable que si elle est faite dans les quinze jours suivant cette élection ou cette désignation " ;

3. Considérant que le délai de contestation imparti par l'article R. 2324-24 du code du travail est applicable à toute décision du comité d'établissement procédant à la désignation de ses délégués au comité central d'entreprise ; que la désignation des délégués du comité d'établissement de Saint-Thibault au comité central d'entreprise a été opérée lors de la réunion de ce comité d'établissement du 14 janvier 2009 ; que cette désignation n'ayant pas été contestée dans le délai de quinze jours imparti par l'article R. 2323-24 du code du travail, lequel était expiré lorsque le comité central d'entreprise a été consulté sur le projet de licenciement, la cour a pu juger, sans erreur de droit, que les requérants ne pouvaient valablement invoquer l'irrégularité de la composition du comité central d'entreprise lors de cette consultation ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la fixation unilatérale de l'ordre du jour de la réunion du comité d'établissement de Saint-Thibault du 6 octobre 2009 par l'employeur :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2325-15 du code du travail,: " L'ordre du jour des réunions du comité d'entreprise est arrêté par l'employeur et le secrétaire./ Toutefois, lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail, elles y sont inscrites de plein droit par l'employeur ou le secrétaire " ; que la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que, si l'ordre du jour de la réunion du 6 octobre 2009 du comité d'établissement de Saint-Thibault, sur le projet de licenciement collectif pour motif économique, avait été fixé unilatéralement par l'employeur, cette circonstance était sans incidence sur la régularité de la procédure de licenciement, dès lors que la consultation du comité d'établissement sur le projet de licenciement devait être inscrite de plein droit à l'ordre du jour de cette réunion par application des dispositions précitées du code du travail ;

En ce qui concerne le moyen relatif au délai fixé par l'article L. 1233-30 du code du travail :

5. Considérant qu'en vertu de l'article L. 1233-30 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, lorsque l'employeur envisage un licenciement collectif pour motif économique de plus de dix salariés, le comité d'entreprise tient deux réunions séparées par un délai qui ne peut être supérieur à quatorze jours lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent ; qu'en se référant aux circonstances de l'espèce, pour en déduire que le dépassement du délai ne constituait pas un vice de nature à rendre irrégulière la procédure de licenciement, la cour a nécessairement estimé que ce délai n'était pas excessif ; que, ce faisant, elle a suffisamment motivé son arrêt ;

En ce qui concerne les moyens relatifs aux obligations de reclassement :

6. Considérant que, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance par l'employeur de l'obligation de reclassement qui lui incombe en vertu de l'article L. 1233-4 du code du travail, la cour administrative d'appel a relevé que la société Gigant France avait individuellement et personnellement proposé aux salariés concernés, par courriers des 29 et 30 octobre 2009, des postes de reclassement sur le site de Ham-les-Moines, lesquels avaient été refusés, et que la société avait demandé les 26 mai et 10 novembre 2009 aux filiales allemande et britannique du groupe Gigant de lui signaler tout poste disponible ; qu'en se fondant sur ces appréciations souveraines, qui ne sont pas entachées de dénaturation, pour en déduire que l'employeur avait satisfait à son obligation légale de reclassement, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment répondu au moyen tel qu'il était soulevé devant elle, n'a pas commis d'erreur de droit ;

7. Considérant qu'en vertu de l'article 28 de l'accord national sur les problèmes généraux de l'emploi conclu le 12 juin 1987 dans le secteur de la métallurgie, l'entreprise envisageant un licenciement collectif d'ordre économique doit rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise, en particulier dans le cadre des entreprises de métaux, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi ; que, pour juger remplie l'obligation conventionnelle de reclassement ainsi stipulée, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, ne s'est pas seulement fondée sur le fait que la société Gigant France avait informé la commission paritaire territoriale de l'emploi de l'Aube de la fermeture du site de Saint-Thibault, mais a également relevé que cette commission s'engageait à recenser auprès de ses adhérents les offres d'emploi disponibles, à diffuser les candidatures des salariés licenciés auprès des recruteurs, et était saisie depuis près de deux mois quand les demandes d'autorisation administrative de licenciement avaient été introduites auprès de l'inspecteur du travail ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant qu'une simple information de la commission paritaire territoriale suffisait pour satisfaire à l'obligation conventionnelle de reclassement ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat ou de la société Ardennaise d'Essieux, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la société Ardennaise d'Essieux ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de MM. B...D..., F...H..., A...G..., I...C...et E...J...est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de la société Ardennaise d'Essieux présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...D..., à M. F...H..., à M. A... G..., à M. I...C..., à M. E...J...et à la société Ardennaise d'Essieux.

Copie en sera faite pour information au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.


Synthèse
Formation : 4ème / 5ème ssr
Numéro d'arrêt : 362142
Date de la décision : 04/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS - PROCÉDURE PRÉALABLE À L'AUTORISATION ADMINISTRATIVE - CONSULTATION DU COMITÉ D'ENTREPRISE - 1) POSSIBILITÉ D'INVOQUER L'IRRÉGULARITÉ DE LA CONSULTATION DU COMITÉ EN RAISON DE L'ILLÉGALITÉ DE LA DÉSIGNATION DE SES MEMBRES - CONDITION - CARACTÈRE NON DÉFINITIF DE CETTE DÉSIGNATION [RJ1] - 2) RÉGULARITÉ - INSCRIPTION UNILATÉRALE DU PROJET DE LICENCIEMENT COLLECTIF PAR L'EMPLOYEUR À L'ORDRE DU JOUR [RJ2].

66-07-01-02-02 1) Les dispositions de l'article R. 2324-24 du code du travail selon lesquelles la régularité de l'élection ou de la désignation des représentants syndicaux n'est recevable que dans les quinze jours suivant cette élection ou cette désignation, sont applicables à toute décision du comité d'établissement désignant ses délégués au comité central d'entreprise. Par suite, l'irrégularité de la composition du comité central d'entreprise ne peut plus valablement être invoquée à l'occasion d'un recours dirigé contre la décision de l'autorité administrative autorisant le licenciement d'un salarié protégé lorsque, à la date à laquelle ce comité a été consulté sur le projet de licenciement, le délai imparti par l'article R. 2324-24 était expiré et que la désignation de ses membres était ainsi devenue définitive.,,,2) La circonstance qu'un projet de licenciement collectif pour motif économique ait été unilatéralement inscrit par l'employeur à l'ordre du jour du comité d'établissement est sans incidence sur la régularité de la procédure de licenciement dès lors que l'article L. 2325-15 du code du travail prévoit l'inscription de plein droit d'une telle consultation.

TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION - LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE - OBLIGATION DE RECLASSEMENT - OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES DE RECLASSEMENT - PORTÉE - RESPECT EN L'ESPÈCE - COMPTE TENU DES DILIGENCES EFFECTUÉES PAR LA COMMISSION TERRITORIALE DE L'EMPLOI ET DU DÉLAI LAISSÉ À CELLE-CI PAR L'EMPLOYEUR AVANT LE DÉPÔT DES DEMANDES D'AUTORISATION DE LICENCIEMENT [RJ3].

66-07-01-04-03-01 Accord national sur les problèmes généraux de l'emploi conclu le 12 juin 1987 dans le secteur de la métallurgie, imposant à toute entreprise envisageant un licenciement collectif d'ordre économique de rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi. Cette obligation est respectée lorsque la commission paritaire territoriale de l'emploi compétente non seulement a été informée de la fermeture d'un site industriel, mais s'est aussi engagée à recenser auprès de ses adhérents les offres d'emploi disponibles, à diffuser les candidatures des salariés licenciés auprès des recruteurs, et était saisie depuis près de deux mois quand les demandes d'autorisation administrative de licenciement ont été introduites auprès de l'inspecteur du travail.


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, 21 décembre 1994, Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle c/ Huard de Jorna, n° 105313, T. p. 1215 ;

à propos de la désignation de membres au CHSCT, Cass. soc., 15 juin 1994, n° 93-41.265 ;

Cass. soc., 28 novembre 2006, n° 04-45.548, Bull. V n° 356 ;

Cass. soc., 12 février 2008, n° 06-44.121, Bull. V n° 35., ,

[RJ2]

Comp. Cass. soc., 12 juillet 2010, n° 08-40.821, Bull. V n° 169., ,

[RJ3]

Rappr. Cass. soc., 5 juin 2012, n° 11-22.052.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2013, n° 362142
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Florence Chaltiel-Terral
Rapporteur public ?: M. Rémi Keller
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:362142.20131204
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