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29/03/2018 | FRANCE | N°17BX03788

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 29 mars 2018, 17BX03788


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2016 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1605829 du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2017,

et des mémoires en production de pièces, enregistrés les 5 et 14 décembre 2017, MmeB..., représe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2016 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1605829 du 3 octobre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 décembre 2017, et des mémoires en production de pièces, enregistrés les 5 et 14 décembre 2017, MmeB..., représentée par Me Chmani, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 3 octobre 2017 ;

2°) d'annuler cet arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 22 novembre 2016 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

4°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ; le préfet de la Haute-Garonne a omis de mentionner et de prendre en compte les violences conjugales dont elle a été victime ;

- le préfet de la Haute-Garonne n'a pas pris en compte dans son appréciation la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du 12 avril 2001 et la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes ; il a méconnu l'article 59 de la convention du Conseil de l'Europe signée à Istanbul le 12 avril 2011 qui fait obligation aux Etats de tenir compte dans leur législation interne des violences conjugales afin de permettre aux femmes qui les subissent de rester sur le territoire national ; le préfet ne pouvait plus opposer la cessation de la communauté de vie, conformément aux dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tel que modifié par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes ;

- en se bornant à constater la rupture de la communauté de vie sans prendre en compte les violences conjugales dont elle a été victime, le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle justifie de la réalité des violences conjugales dont elle a été victime ; l'article 33 de la convention précitée impose de prendre en compte tant les violences physiques que les violences psychiques ; par ailleurs, les violences subies étaient antérieures à la rupture de la communauté de vie ;

- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur de fait ; elle a tissé des liens personnels intenses et forts sur le territoire français ; elle justifie d'efforts d'intégration sur le territoire national, a signé un contrat à durée indéterminée en juillet 2016 comme agent de service, est bénévole au centre social de la CAF pour animer des ateliers d'initiation à l'informatique, et dispose d'une promesse d'embauche comme chargée de communication dans une association ;

- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et méconnaît l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

- l'obligation de quitter le territoire français doit être annulée du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée, elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire est insuffisamment motivée et méconnaît l'article 24 de la loi du 12 avril 2000.

Par ordonnance du 15 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 29 janvier 2018 à 12 h.

Un mémoire présenté par le préfet de la Haute-Garonne a été enregistré le 7 février 2018.

Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord du 9 octobre 1987 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 11 mai 2011 ratifiée par la France le 4 juillet 2014 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 ;

- loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Cabanne, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A...B..., ressortissante marocaine, née le 8 septembre 1979, est entrée en France le 13 octobre 2015, munie d'un passeport revêtu d'un visa long séjour valant titre de séjour pour une durée d'un an en raison de son mariage contracté au Maroc, le 14 avril 2015, avec M. C..., de nationalité française. Le 26 août 2016, Mme B...a sollicité le renouvellement de son titre de séjour en qualité de " conjoint séparé d'un ressortissant français victime de violences conjugales ". Par un arrêté en date du 22 novembre 2016, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi. Elle relève appel du jugement du 3 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.

Sur l'admission à titre provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 novembre 2017. Par suite, ses conclusions tendant à l'admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. L'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...) ". Selon le deuxième alinéa de l'article L. 313-12 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 47 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 et des articles 15 et 16 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 : " Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf si elle résulte du décès du conjoint français. Toutefois, lorsque l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales et que la communauté de vie a été rompue, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et en accorde le renouvellement. (...). ".

4. Il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a créé désormais un droit au renouvellement du titre de séjour d'un étranger dont la communauté de vie avec son conjoint de nationalité française a été rompue en raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de ce dernier. Il appartient donc au préfet de se prononcer expressément, lorsque ce fondement est invoqué, sur la réalité des violences alléguées.

5. La requérante soutient que le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur de droit en se bornant à constater que la communauté de vie n'était plus établie entre les époux. Si le préfet a mentionné les mains courantes et la plainte déposées par l'intéressée pour ce qu'il a qualifié de " violences verbales ", il a relevé ensuite que les époux avaient été autorisés à résider séparément par une ordonnance de non-conciliation du 16 juin 2016 et qu'en application du 4° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " la condition de vie commune effective avec son époux lui est opposable pour le renouvellement du titre de séjour temporaire ". En s'abstenant de se prononcer ainsi sur la réalité des violences conjugales alléguées, le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 22 novembre 2016 par lesquelles le préfet de la Haute-Garonne lui a refusé le séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Elle est également fondée, par suite, à demander l'annulation de ce jugement et de ces décisions.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. L'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas, au vu des motifs exposés au point 5, que le préfet de la Haute-Garonne délivre à Mme B...un titre de séjour " vie privée et familiale ". Il y a lieu seulement d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de se prononcer à nouveau sur la demande présentée par MmeB..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

8. Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'avocat de MmeB..., Me Chmani, d'une somme de 1 000 euros, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l' État à l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme B...tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse le 3 octobre 2017 sous le numéro 1605827 et l'arrêté du 22 novembre 2016 du préfet de la Haute-Garonne sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de se prononcer à nouveau sur la demande présentée par MmeB..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à Me Chmani, avocat de MmeB..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l' État à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B...est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mars 2018

Le rapporteur,

Cécile CABANNELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

No 17BX03788


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX03788
Date de la décision : 29/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Cécile CABANNE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CHMANI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-03-29;17bx03788 ?
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