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06/07/2023 | FRANCE | N°22LY03278

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 06 juillet 2023, 22LY03278


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 9 mai 2022 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.

Par jugement n° 2203196 du 1er juillet 2022, le magistrat désigné du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire (non communiqué) enregistrés le 14 novembre 2022 et le 13 juin 2022, M. B..., représenté par

Me Guerault, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 9 mai 2022 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé son pays de destination.

Par jugement n° 2203196 du 1er juillet 2022, le magistrat désigné du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire (non communiqué) enregistrés le 14 novembre 2022 et le 13 juin 2022, M. B..., représenté par Me Guerault, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Drôme de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et de réexaminer sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- sa conversion au christianisme est de nature à l'exposer à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Iran de sorte que la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant l'Iran comme pays de destination méconnaît l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par mémoire enregistré le 9 juin 2023, la préfète de la Drôme conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 14 juin 2023 à 16h00.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher,

- et les observations de Me Guerault pour M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant iranien né le 21 mars 1983, est entré en France le 31 janvier 2021 en vue d'y solliciter l'asile. Sa demande a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 juin 2021. Par décision du 4 avril 2022, la Cour nationale du droit d'asile a confirmé ce rejet. La préfète de la Drôme a alors, par arrêté du 9 mai 2022, obligé M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 1er juillet 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 9 mai 2022 de la préfète de la Drôme.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... résidait en France depuis seulement dix-huit mois à la date de la décision litigieuse. Il est célibataire et sans enfant. Il ne dispose pas d'un emploi en France. Dans ces conditions, et alors que l'obligation de quitter le territoire français n'implique pas nécessairement qu'il retourne résider en Iran où il indique craindre des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en raison de sa conversion au christianisme, en prenant à son encontre une obligation de quitter le territoire français, la préfète de la Dôme n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'a pas non plus entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.

Sur la décision fixant le pays de destination :

4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ".

5. M. B... craint d'être persécuté, en cas de retour dans son pays d'origine, par les autorités iraniennes en raison de sa conversion au christianisme. Il explique avoir, en Iran, fait la connaissance d'un chrétien qui l'a invité à des réunions, puis lui a offert une bible qu'il avait laissée dans la boite à gants de sa voiture. A la suite d'un contrôle de police, sa bible a été découverte. Il a été arrêté, puis relâché sous caution. Craignant pour sa sécurité, il a quitté le pays le 18 novembre 2019, puis a été jugé, par contumace, et condamné à 12 ans de prison. S'il est vrai que sa demande d'asile a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 juin 2021, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 4 avril 2022, au motif que les circonstances dans lesquelles il avait quitté l'Iran n'étaient pas claires et que son parcours de conversion et son adhésion aux préceptes de la religion chrétienne n'avaient pu être établis, malgré la production d'un certificat de baptême, au regard des explications sommaires qu'il a fournies, toutefois le requérant a versé devant le tribunal, puis devant la cour, différents témoignages, postérieurs à l'audience tenue devant la Cour nationale du droit d'asile, de membres de l'Eglise protestante évangélique de Valence au sein de laquelle il a été baptisé le 13 mars 2022. Il résulte de l'un de ces témoignages que son baptême a été filmé et que la vidéo est librement accessible sur la chaine youtube de cette Eglise, de sorte que sa conversion ne peut conserver un caractère confidentiel. Par ailleurs, les témoignages circonstanciés du couple qui l'a hébergé pendant deux semaines au cours du mois de mai 2022, qui, bien que postérieurs de quelques jours à la décision en litige, donnent un éclairage sur la situation existant à la date de cette décision, démontrent une démarche de conversion certaine. Enfin, les différents rapports produits par le requérant, et notamment le rapport de l'OSAR du 7 juin 2018, démontrent que le fait, pour un ressortissant iranien de confession musulmane, de se convertir à une autre religion est regardé, en Iran, comme constitutif d'un crime d'apostasie, pour lequel peut être encourue la peine capitale. Dans ces conditions, en fixant l'Iran comme pays de destination, la préfète de la Drôme a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions du second alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du 9 mai 2022 par laquelle la préfète de la Drôme a fixé l'Iran comme pays de destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement d'enjoindre à la préfète de la Drôme de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois suivant sa notification, sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Guerault, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au profit de cet avocat au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2203196 du 1er juillet 2022 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 9 mai 2022 par laquelle la préfète de la Drôme a fixé l'Iran comme pays de destination de M. B....

Article 2 : La décision du 9 mai 2022 par laquelle la préfète de la Drôme a fixé l'Iran comme pays de destination de M. B... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Drôme de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à Me Guerault la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète de la Drôme.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

Mme Duguit-Larcher, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

M-A. Boizot

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03278


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03278
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : GUERAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-07-06;22ly03278 ?
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